Page:Leblanc - Le Cercle rouge, paru dans Le Journal, 1916-1917.djvu/28

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phyxie, rendaient véritablement effrayant.

Un concert de protestations lui répondit.

— Personne n’est entré chez vous avant vos appels, monsieur Bauman, affirma le caissier. Ces messieurs s’y sont précipités seulement quand ils vous ont entendu crier et frapper…

Un rugissement sortant de la gorge de M. Bauman l’interrompit :

— Le dossier ! le dossier des reconnaissances ! Où est-il ? Il était là ! là ! sur la table ! Où est-il ?

Tragique, il montrait du doigt la table vide.

Les employés, ahuris, se regardèrent sans comprendre.

— Quel dossier, monsieur Bauman ? hasarda M. Smith.

— Celui des reconnaissances ! les reconnaissances des petits prêts ! Je l’avais sorti ! Je l’avais posé là ! On l’a volé. Après une tentative d’assassinat sur ma personne, un vol ! Mais je trouverai le coupable ! je vous ferai arrêter tous, juger, condamner, exécuter !… misérables ! bandits ! assassins !

M. Bauman ne se connaissait plus et hurlait en dansant positivement de rage devant sa table vide.

Ses employés, atterrés devant ce nouvel événement, se taisaient.

— C’est la femme voilée ! Sûr et certain, c’est elle ! proféra, pendant un moment de silence, une voix éperdue.

Toutes les têtes se tournèrent. On vit Larkin, le garçon de bureau. Il venait de rentrer et avait assisté à la scène. Il semblait affolé d’avoir parlé tout haut dans son émotion.

M. Bauman bondit comme un jaguar et le prit au collet.

— La femme voilée ! Quelle femme voilée ? Qu’est-ce que cela veut dire ? Parleras-tu ? Mais parleras-tu enfin ?

Il le secouait avec une vigueur juvénile. Larkin, flageolant sur ses jambes et dont les mâchoires s’entre-choquaient, semblait plus mort que vif.

— Monsieur Bauman, monsieur, ce n’est pas de ma faute !… gémit le malheureux. Vous m’étranglez, monsieur, ajouta-t-il timidement.

M. Bauman grinça des dents, mais desserra un peu son étreinte.

— Tais-toi et parle ! ordonna-t-il.

En dépit de la contradiction apparente des termes, Larkin, dont l’épouvante aiguisait les facultés, comprit : il devait cesser de se plaindre d’être étranglé et raconter à l’instant même ce qu’il savait.

Il le fit de son mieux, mais avec des redites, des excuses et des incidentes qui accrurent la furie de M. Bauman.

Quand Larkin eut tout expliqué, depuis les premiers mots qu’il avait échangés avec la femme voilée jusqu’à l’instant où il avait introduit celle-ci dans le cabinet de son patron absent, il s’arrêta, haletant et trempé de sueur.

M. Bauman, comprimant pour un moment son courroux, l’avait écouté sans mot dire.

— Vous avez laissé entrer chez moi une inconnue, dit-il enfin d’une voix basse et sifflante. Par votre faute, j’ai failli périr… j’ai été volé… Entendez-vous, imbécile ?

— Monsieur, gémit l’infortuné… J’ai cru, cette dame m’a dit…

Il n’acheva pas, M. Bauman le poussait vers la porte.

— Monsieur Smith, venez ! cria-t-il d’un ton impératif. Je cours à la police porter plainte. Cet imbécile dira ce qu’il sait (il eut vers Larkin un regard écrasant de menaces et gros de soupçons), et vous compléterez, vous, ma déposition.

D’un pas tragique, il passa au milieu de son personnel en émoi.

Suivi de Smith, placide, et de Larkin, défaillant, il descendit l’escalier.

Il mit le pied dans la rue et s’arrêta stupéfait : il ne voyait pas son auto qui, en permanence, devait l’attendre près de la maison, d’abord, pour qu’il pût s’en servir, ensuite, afin d’impressionner les clients.

— L’auto, balbutia M. Bauman, pétrifié, où est mon auto ?