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Épisode 3

Le passé surgit…

VIII

Le secret du Far West


En quittant Florence, après avoir vu avec horreur, sur la main de la jeune fille, monter et s’épanouir comme un anneau de sang, présage de malheurs, le Cercle Rouge, Mary, la vieille gouvernante, s’était enfuie dans le parc de Blanc-Castel.

Le jour était radieux et l’haleine des fleurs tropicales embaumait l’ombre des longues allées, mais, pour la pauvre femme, il n’y avait ni soleil, ni parfum, ni reposants ombrages ; il y avait le Cercle Rouge sur la main de celle qu’elle aimait avec un dévouement d’esclave et une tendresse de mère.

— Le Cercle rouge, le Cercle rouge sur sa main ! murmurait-elle tout bas, avec un accablement désespéré. Mais comment n’y serait-il pas ? Comment échapperait-elle à la fatalité héréditaire ? Et moi, que dois-je faire ? Où est mon devoir envers cette enfant ? Dois-je parler ou bien dois-je me taire ?

Auprès de la fontaine aux eaux jaillissantes à la voix argentine, sur ce même canapé d’osier où Florence, trois jours avant, lui avait fait part de ses appréhensions inexplicables, de ses craintes mystérieuses, Mary s’assit, plongée dans de sombres pensées.

Le bruit survenant d’une robe frôlant les buissons, d’un pas qui glissait sur le sable doux des allées, fut si léger, que Mary, absorbée, les yeux fixes, les mains nerveusement serrées l’une dans l’autre, ne l’entendit pas.

Un bras caressant se passa à son cou, une bouche fraîche se posa sur sa joue mouillée de larmes, et une voix murmura à son oreille :

— Il faut me dire la vérité…

— Flossie, mon enfant chérie, ne me demandez pas cela, répondit avec angoisse la vieille gouvernante, en saisissant les mains de Florence, qui venait de la rejoindre et qui s’assit près d’elle.

— Si, si, Mary, il faut parler — (la jeune fille la regardait en face avec fermeté, — je ne suis plus une enfant, je suis courageuse, j’ai le droit de tout apprendre. Un mystère redoutable pèse sur moi, que vous seule pouvez expliquer. Parlez ! Pourquoi ai-je tout à coup été prise du désir impérieux et irrésistible de commettre les actes que j’ai commis ? Pourquoi suis-je brusquement devenue une autre moi-même ? Pourquoi une force, étrangère à moi, m’a-t-elle poussée à tout oser, à tout braver avec tant d’audace et de calme sang-froid ? Et pourquoi cette même force me poussera-t-elle, tôt ou tard, je le sais, à accomplir d’autres actions analogues, aussi singulières, aussi coupables, puisque le monde les appelle coupables ? Pourquoi, depuis deux jours, ai-je sur la main cette marque énigmatique, insolite, sinistre et qui m’épouvante, ce Cercle Rouge qui coïncide avec l’apparition, en moi-même, d’une autre personnalité que celle qui était la mienne ? À quelle fatalité suis-je soumise ? Pourquoi suis-je changée ? D’où vient l’instinct qui, maintenant, de temps à autre, s’empare de moi soudain pour me jeter vers le risque et l’aventure, et, où