Page:Leblanc - Le Cercle rouge, paru dans Le Journal, 1916-1917.djvu/45

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m’entraînera-t-il ?… Je veux savoir… Mary, vous connaissez le secret de tout cela. Il faut me le dire !

Il y eut un long silence entre les deux femmes. Le murmure de l’eau et celui des feuilles ne les empêchaient pas d’entendre mutuellement battre leur cœur qu’oppressaient l’émotion, le doute et la crainte.

La vieille gouvernante avait compris qu’elle ne pouvait plus hésiter ; elle regarda autour d’elle pour s’assurer que le parc était désert, et, pâle, la gorge serrée, elle parla enfin.

— Oui, vous avez raison, Florence — dit-elle d’une voix sourde, mais ferme, — vous avez le droit de savoir la vérité, et moi je n’ai plus le droit de vous la cacher. Vous devez connaître le secret de votre naissance…

— De ma naissance !

La jeune fille avait eu un tressaillement de stupeur, et, interdite, regardait Mary.

Celle-ci, comme si elle n’eût pas entendu l’interruption, continua :

— Il y a maintenant vingt ans, M.  Travis, déjà très riche, quitta Los Angeles pour faire un voyage dans les régions du Far West. Il était déjà très riche à cette époque, ayant gagné dans les mines d’or une fortune considérable, mais c’est un homme d’une énergie et d’une activité inlassables, à qui le repos semblait plus fatigant que la vie aventureuse. Il disait d’ailleurs que ce serait sa dernière expédition et on racontait qu’un vieux mineur, auquel il avait jadis sauvé la vie, l’avait fait appeler, se trouvant près de mourir, pour lui révéler l’emplacement d’un placer prodigieusement riche.

»  Mme  Travis, bien qu’elle fût alors sur le point d’être mère, voulut absolument accompagner son mari dans son voyage. Ils m’emmenèrent avec eux. Depuis plusieurs années déjà, j’étais leur servante dévouée, je pourrais presque dire leur amie, tant ils me traitaient avec bonté.

»  Vous ne pouvez vous imaginer, Florence, ce qu’était l’Ouest dans ce temps-là. L’endroit où nous nous rendions était une cité minière hâtivement construite, où, à part les cabanes en planches où logeaient les mineurs et leurs familles, il y avait un seul hôtel, une auberge, plutôt, construite grossièrement en bois et fréquentée par les cow-boys.

» Si le bourg était d’aspect fruste et primitif, il était, par contre, extraordinairement animé par les voyageurs, les cow-boys, les mineurs et surtout par les femmes et les enfants de ces derniers. Quand nous arrivâmes, Mme  Travis était très souffrante et son mari se repentait amèrement d’avoir cédé à ses instances et de l’avoir emmenée. Il nous fallut la soutenir dans nos bras et presque la porter pour la faire entrer dans l’auberge.

»  Dans la salle commune, au fond de laquelle se trouvait l’escalier qui montait aux chambres, plusieurs hommes étaient réunis et buvaient en discutant. Il y avait parmi eux le tenancier de l’auberge, qui s’appelait Jake et un autre homme d’une trentaine d’années, d’aspect rude et énergique, qui parlait rarement, mais que tous écoutaient avec une sorte de respect. Celui-là se nommait Jim Barden.

— L’homme que j’ai vu à l’asile, et qui s’est tué il y a trois jours ? s’exclama Florence.

— Oui, cet homme-là. Il était au bourg depuis quelques semaines, avec sa jeune femme, et il devait faire partie de l’expédition organisée par M.  Travis. Ce dernier m’aida à soutenir Mme  Travis jusqu’à la chambre du premier étage, — une grande chambre sommairement meublée, la plus belle de l’auberge, — qui lui avait été réservée. Puis, pendant que j’installais la malade sur un fauteuil et que je prenais soin d’elle, il redescendit afin d’arrêter les derniers détails de l’expédition. Presque tous les mineurs réunis au bourg devaient l’accompagner afin de prendre possession