Page:Leblanc - Le Cercle rouge, paru dans Le Journal, 1916-1917.djvu/52

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

moelles, elle frissonna de pitié, de dégoût, de terreur et de honte.

— Oh ! le malheureux, le malheureux, murmura-t-elle sans même se rendre compte qu’elle parlait haut.

— Oh ! à la fin, il s’y était fait d’être ici, dit le gardien. J’ai même dans l’idée qu’il ne s’y déplaisait pas… il était devenu tranquille… enfin, quoi, il avait pas envie d’être dehors. Du reste, pour ce que ça lui a réussi qu’on le lâche… Moi qui vous parle, ça ne m’a pas étonné ce qu’il a fait une fois libre. Croiriez-vous qu’un jour, je lui ai pris une corde qu’il s’était fabriquée en défilant sa chemise… sûr et certain, c’était pour se pendre… Et puis, je l’ai vu, un autre jour, là par terre, à plat ventre, et qui sanglotait, qui sanglotait… Vrai, je ne suis pas sensible, le métier vous en empêche, mais ça m’a fait quelque chose… parce que, sangloter, un gaillard comme ça… qui était plus fort qu’un hercule et qui avait des crises de rage à tout casser… Il fallait être six hommes et des solides, pour lui passer la camisole…

— Florence, mon enfant, si nous partions, dit Mary qui avait vu la jeune fille blêmir affreusement.

— Tout à l’heure. C’est curieux, ne trouvez-vous pas, cette cellule ? dit Florence qui, prête à s’évanouir, fit un effort suprême pour prendre un ton calme.

— Oui, ça, on peut le dire que c’était un drôle de client, continua le gardien, flatté d’être écouté avec une attention qu’il attribuait à son éloquence. C’est bien rare s’il restait tranquille. Pendant des heures, il allait et venait sans s’arrêter, un tigre dans sa cage, quoi. Ou bien il se mettait à gratter les murs, à marquer je ne sais quoi, à dessiner, si on peut appeler ça dessiner ! Dame, il avait rien que ses ongles ou bien un vieux bout de crayon que je lui ai pris, comme c’est le règlement… Ah ! et puis il y a aussi autre chose que je lui ai pris, faut que je vous montre ça, ça vous amusera. Voulez-vous m’attendre un instant, je vais chercher la chose et je reviens tout de suite.

Il sortit. Mary s’était laissé tomber, brisée d’émotion, sur l’escabeau grossier. Florence, maintenant, avait, semblait-il, repris son courage. Elle était toujours très pâle, une expression de sombre amertume crispait son charmant visage, mais c’est d’un pas ferme qu’elle fit lentement, observant chaque détail, le tour de la cellule.

Elle vit tout à coup le placard, qui, dans un angle, servait à ranger la cruche et le pain des prisonniers.

Elle l’ouvrit.

Elle eut un cri sourd et recula.

Mary, se dressant, courut à elle.

La jeune fille, les yeux fixes, dilatés, tout son être tendu par une surprise pleine de terreur regardait droit devant elle dans le placard ouvert.

À l’intérieur du placard, sur le plâtre qui n’avait pas été peint, sur le plâtre resté d’un blanc cru, il y avait, dessiné minutieusement au crayon de couleur, copié avec exactitude sur une réalité que Florence connaissait trop, il y avait, anneau irrégulier qu’on eût dit teint de sang vif, il y avait un Cercle Rouge.

Et les regards de Florence, cloués sur le Cercle Rouge, ne pouvaient s’en détacher. L’héritage fatal du vieux Barden était là. Il l’avait inscrit lui-même dans ce signe insolite de folie et de mort par quoi tant d’heures, tant de jours, tant d’années, une obsession hallucinée, une réalité impitoyable, l’avaient supplicié.

— Le Cercle Rouge ! Voyez, voyez, le Cercle Rouge ! dit Florence, en saisissant la main de la gouvernante. Voyez, il l’a laissé comme une dernière pensée, comme une dernière torture, comme une dernière malédiction !

Mais Mary referma brusquement la porte du placard et entraîna Florence vers le milieu de la cellule.

Le gardien revenait.

— Regardez-moi ça, dit-il, voilà ce que Jim cachait.