Page:Leblanc - Le Cercle rouge, paru dans Le Journal, 1916-1917.djvu/77

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Florence s’était d’abord jetée dans l’aventure avec toute l’audacieuse témérité qui s’était révélée en elle, mais maintenant, en voyant son plan renversé, alors qu’elle s’était cru au point de réussir, elle pleurait presque de dépit exaspéré.

— Qu’est-ce que je vais faire ? se disait-elle, en regardant de côté, avec le désir de l’étrangler, Meeks qui, renfrogné, la suivait sans hâte, chacun des pas de ses longues jambes équivalant à deux pas de Florence. Qu’est-ce que je vais faire ? Comment me débarrasser de ce grand escogriffe rivé à mes talons ? Lui offrir de l’argent ? Si, comme c’est probable, il est intègre, cela me perd définitivement.

Soudain, elle tourna la tête. Il lui avait semblé entendre des pas étouffés suivre les leurs. Elle ne vit rien et crut s’être trompée.

— Où habitez-vous ? demanda tout à coup Meeks, que cette course silencieuse ennuyait profondément.

Florence fit un geste vague.

— Ah ! c’est vrai, vous êtes muet, je ne m’en rappelais plus, dit Meeks.

Deux minutes passèrent.

— Il y a longtemps que vous êtes muet ? reprit Meeks tout tranquillement.

Cette fois, il n’obtint même pas un signe en guise de réponse. Florence s’affolait, elle cherchait en vain un stratagème qui la sauverait. Cette course insensée ne pourrait toujours se prolonger. Et l’épouvante la gagnait, l’épouvante d’être découverte et de l’affreux scandale qui s’ensuivrait.

— Je suis perdue, je suis perdue, songeait-elle avec angoisse, tout en ralentissant le pas.

Meeks à ses côtés marchait maintenant silencieusement, plus renfrogné que jamais. C’était vraiment une sale corvée que le chef lui avait donnée là, et Meeks ne put se retenir de jeter un regard d’envie sur les consommateurs réunis dans un bar devant lequel ils passaient.

Florence surprit ce regard et une idée germa dans son cerveau, une idée plus audacieuse et plus folle peut-être que toutes ses autres idées, mais qu’à cause de cela même, dans son désespoir, elle accueillit et réalisa aussitôt.

Avisant, trente pas plus loin, un autre bar, elle s’y dirigea.

Meeks lui mit la main sur l’épaule.

— C’est pas chez vous, ça, car c’est, un bar ! objecta-t-il.

Florence tira son bloc-notes.

« J’ai soif, écrivit-elle. Votre chef a ordonné que vous me suiviez où je voudrai. »

Sous un réverbère, elle mit la feuille sous les yeux de l’agent, Meeks lut et devint perplexe.

Il avait soif, lui aussi, très soif. L’idée d’un verre de whisky alluma ses yeux, mais le sentiment du devoir le fit hésiter cruellement.

— C’est vrai que le chef a ordonné que