Page:Leblanc - Le Chapelet rouge, paru dans Le Grand Écho du Nord, 1937.djvu/3

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pagne, et en dehors de moi et de la dactylographe, dont je suis sûr, il n’y a que deux employés, et ils n’ont pas la clef de cette pièce.

— Évidemment… Évidemment… J’ai dû me tromper, avoua d’Orsacq. D’ailleurs, rien n’a été pris. Donc… »

Resté seul, il ouvrit les tiroirs dont il avait parlé, constata qu’en effet rien n’avait été pris et, glissant sa main jusqu’au fond de l’un d’eux, ramena deux plaques de carton blanc serrées l’une contre l’autre par un élastique. Il ôta l’élastique. Il y avait là une vingtaine de photographies de femmes très belles, les femmes qu’il avait le plus aimées au cours de sa vie aventureuse et dont il avait jusqu’alors conservé fidèlement l’image.

Il s’approcha de la cheminée, remonta le rideau de tôle, alluma son briquet et, avec les vieux papiers accumulés sur la cendre, fit un brasier où il jeta tous les portraits.

Tous les portraits, sauf un. Celui-là, il le contempla longtemps avec une expression passionnée, et murmura « Christiane ! Christiane ! Les autres femmes ne comptent plus maintenant. J’ai jeté au feu tout mon passé. Il n’y a plus que vous, Christiane. »

Il se promena de long en large, puis, s’arrêtant devant la table, il frappa du plat de la main sur le paquet de titres, et dit à haute voix, d’un ton de triomphe et de joie exaltée :

« Je « la » tiens, maintenant… Je « la » tiens… Comment m’échapperait-elle ? »

Jean d’Orsacq fit quelques courses et alla voir plusieurs personnes. Ses affaires étant terminées plus vite qu’il ne le croyait, il résolut de retourner au château. À neuf heures, il y dînait avec la comtesse d’Orsacq.

Lucienne d’Orsacq était une femme d’environ trente-cinq ans, toujours souffrante, et qui remplaçait la beauté et la grâce, dont elle était dépourvue, par une grande distinction. Elle inspirait à son mari beaucoup de respect, de l’estime pour ses qualités de maîtresse de maison, et de l’admiration pour l’existence loyale qu’elle menait depuis quinze ans qu’ils étaient mariés. Il l’entourait de soins et de prévenances. Jamais il n’aurait consenti à la faire souffrir.

Le soir, ils causèrent un moment. Elle lui dit :

— J’ai reçu les réponses de nos amis Boisgenêt et Vanol. C’est convenu. Ils arriveront une semaine avant l’ouverture de la chasse.

— C’est-à-dire dans quinze jours.

— Exactement. J’attends maintenant la réponse du petit ménage Bresson. Ils sont gais tous deux et mettront de l’animation. Et je pense qu’on pourrait inviter aussi ton ami Debrioux et sa femme.

D’Orsacq tressaillit.

« Bernard et Christiane ? Mais tu sais bien que Debrioux a déjà refusé. C’est un garçon sauvage…

— Oui, mais il adore la chasse, paraît-il, et je téléphonerai à Christiane. »

Jean d’Orsacq regarda sa femme. Elle parlait fort simplement. Il était hors de doute qu’elle n’avait pas la moindre arrière-pensée.

Il objecta :

— Ni Bernard ni Christiane Debrioux ne sont bien divertissants.

— Non, Mais il est trop tard pour lancer d’autres invitations et je tiens à ce qu’on soit huit à table et que le château soit au complet, pour la fête que tu veux organiser, huit jours après, dans le parc, avec les gens du village.

— Comme tu voudras, dit-il. Personne