Page:Leblanc - Le Chapelet rouge, paru dans Le Grand Écho du Nord, 1937.djvu/51

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— Qui m’importait ? Et pourquoi ? Dans quel intérêt une telle bêtise ?

— Pour me ruiner.

— Te ruiner ? J’avais donc une raison pour cela ?

— Une raison qui domine toute ta vie.

— Laquelle ?

— Tu aimes ma femme. »

L’apostrophe fut jetée avec une rage contenue, et d’une voix qui frémissait. Accusation imprévue, même pour Christiane, même pour d’Orsacq, car rien n’avait pu faire supposer jusqu’ici, un instant, que Bernard eût seulement discerné quelque chose de suspect, la moindre arrière-pensée galante dans la conduite que Jean d’Orsacq tenait à l’égard de Christiane. Alors quoi, il savait ? Il avait suivi cet empressement sournois, ce manège habile, cette passion ardente, si bien dissimulée que personne n’en avait soupçonné l’action secrète ?

D’Orsacq en fut un instant décontenancé. Il sentit en face de lui une jalousie aussi brutale que la sienne, et une exécration qui ne reculerait devant aucune vengeance. À son tour, il murmura :

« C’est une ignominie !

— Qu’est-ce qui est une ignominie ? riposta Bernard.

— De mêler le nom de ta femme à notre débat. Je ne peux pas admettre… »

La colère de Bernard se déchaîna :

« Tu ne peux pas admettre ? À quel titre donc parles-tu ? N’est pas un nom qui m’appartient ? Si je le mêle à notre débat, c’est pour le défendre, et c’est mon devoir, puisque son nom est lié au mien, comme sa vie est liée à ma vie. Et c’est cela qui t’exaspère, hein ? nos deux destinées jointes… nos existences entrelacées jusqu’à la mort… Mais avoue donc ! Tout à l’heure, tu m’as contraint d’avouer. À ton tour, fais ton aveu. Dis-moi que tu l’aimes et que tu voulais me la voler. Avoue qu’après m’avoir ruiné pour démolir notre ménage, et pour la tenter avec le luxe que tu représentes, tu me dénonces aujourd’hui pour m’avilir à ses yeux. Avoue donc que tu me hais, moi le mari, moi l’obstacle ! »

Ils se touchaient presque, et il semblait qu’ils fussent sur le point de se colleter. Rien ne pouvait plus les retenir. Pour eux, il n’y avait plus ni juge, ni enquête, ni accusation. C’était de l’amour et de la haine qui s’entrechoquaient, deux adversaires qui s’affrontaient pour une femme, sans qu’aucun des deux songeât à mesurer la portée judiciaire de ses paroles.

« Tu avoues, n’est-ce pas ? Tu ne peux pas ne pas avouer ? »

Jean secoua la tête.

« Je ne veux pas te répondre.

— Pourquoi ?

— Ce n’est pas au moment où ma vie est bouleversée par le drame de cette nuit… »

Durant quelques secondes, défaillant, il se cacha le visage entre les mains, mais Bernard ne le lâchait pas et reprenait sans pitié : « Tu as bien eu la force de m’accuser et de reconstituer mon rôle dans cette affaire. Aie le courage de montrer le tien, et les sentiments qui t’ont jeté contre moi. »

Toutes les ripostes de Bernard portaient comme des coups directs au cœur même de son adversaire. En vérité, les forces s’équilibraient et l’attaque du comte Jean perdait de sa valeur et de son importance. Bernard pouvait relever la tête.

Ébranlé dans son élan, hésitant tout d’abord, d’Orsacq peu à peu se domina, et comme Bernard insistait, lui disant :

« Avoue donc !… avoue donc que tu l’aimes… »

Il se redressa sous une impulsion d’orgueil et déclara : « Oui ». Et tout de suite :