Page:Leblanc - Le Chapelet rouge, paru dans Le Grand Écho du Nord, 1937.djvu/52

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« Oui, puisque cela te fait plaisir que je prononce ce mot, oui, j’aime, et puisque tu veux que j’avoue, moi aussi, devant elle et devant la justice, je le fais hautement et fièrement. Oui, Bernard, dès le premier jour où je t’ai revu, et où tu m’as amené chez toi, je t’ai détesté, toi qui m’avais été toujours si indifférent. Je t’ai détesté parce que j’ai trouvé ta femme trop belle pour toi, trop belle et trop fine. C’est par ma haine instinctive et brusque que j’ai senti aussitôt mon amour naissant. Tu ne lui donnais pas l’existence pour laquelle elle est faite. Tout est médiocre autour d’elle : le milieu où elle vit, les objets qu’elle touche, les robes qu’elle porte, et toi, toi surtout. Et tout de suite, j’ai rêvé de lui apporter le bonheur, le luxe, tous les raffinements de la vie, et tout ce qu’il y a d’excessif et d’intense dans un véritable amour, et c’est pourquoi j’ai entrepris de lutter contre toi, c’est-à-dire pour elle, par tous les moyens. »

Il y avait quelque chose d’égaré et de sombre dans leur duel, un duel immobile, tout en paroles frémissantes exprimées à voix basse.

« C’est cela que je voulais te faire dire, chuchota Bernard Debrioux. Par tous les moyens ! Il n’y a pas d’autre mot. Si tu avais pu me ruiner par des moyens honnêtes, je serais un voleur, un voleur qui aurait l’excuse d’avoir voulu sauver son foyer et protéger sa femme contre l’embûche et la tentation, mais un voleur tout de même. Seulement, tu as employé de tels moyens que j’avais le droit d’agir comme je l’ai fait.

— Ah ! ah ! tu avais le droit de voler les six cent mille francs.

— Je ne les ai pas volés. Je les ai repris. Le voleur n’est pas moi, c’est toi. Tes manœuvres pour me ruiner furent illégales.

— Prouve-le.

— J’en ai les preuves. Je te dénoncerai, je te dénonce dès maintenant devant la justice. C’est toi qui as payé les articles qui ont fait tomber l’affaire.

— Prouve-le.

— J’ai des brouillons écrits de ta main et j’ai un rapport écrit de ta main, et j’ai un bilan que tu as falsifié.

— Des blagues ! des mensonges ! s’écria d’Orsacq. Tu m’accuses pour te défendre. Mais tu ne peux rien. Quoi qu’il arrive, quoi que tu fasses, tu es pris la main dans le sac. Tu es le monsieur qui a fracturé une serrure et barboté dans un coffre. Il y avait là un paquet de titres, il est dans l’armoire de ta mère, volé par toi, volé par ta sœur. »

Bernard leva la main et tenta de frapper l’ennemi. Mais Christiane s’était jetée entre eux deux. Elle les sépara et les écarta l’un de l’autre. Et son intervention fut si impérieuse qu’ils se tinrent immobiles soudain, comme s’ils acceptaient qu’elle fût leur arbitre, et comme s’ils attendaient avec une angoisse inexprimable le jugement de la femme qu’ils aimaient tous les deux.

Elle ne dit rien. Il sembla qu’elle n’avait pas eu d’autre idée que d’éviter l’affreuse bataille, et que, pour le reste, elle refusât de prendre parti.

Ils reculèrent encore. Elle s’assit entre eux, à bout de forces. Il y eut un long silence. On aurait dit que la bataille était terminée, et que les deux adversaires avaient prononcé toutes les paroles que l’un et l’autre estimaient utiles à leur attaque ou à leur haine.

Alors le juge se leva. C’était l’instruction qui recommençait. La justice allait tirer les conclusions du débat où elle devait avoir le dernier mot. En faveur de qui le fléau de la balance allait-il pencher ? Car c’était là l’essentiel. Au regard de la loi, il devait y avoir un coupable. Il y en avait un, sûrement, et un seul. Lequel ?

La justice, cependant, sous les traits bonasses de M. Rousselain, avait l’air quelque peu embarrassé. L’affaire était bien obscure et, si quelques clartés éparses luisaient dans l’esprit ingénieux de M. Rousselain, que de contradictions en revanche le détournaient d’une opinion trop exacte ! Il adressa quelques paroles au substitut du procureur, puis il déambula dans la pièce, et comme on frappait à la porte, il ouvrit lui-même à l’inspecteur de la brigade mobile avec lequel il eut un assez long entretien qui parut l’impressionner vivement. Il se retourna vers la table avec une physionomie si sérieuse que l’attente tout à coup devint intolérable. Qu’avait-il appris ? Quelles péripéties nouvelles surgissaient au milieu des ténèbres et de la confusion des faits ? M. Rousselain n’était pas homme à se laisser surprendre par l’émotion. Recouvrant son aspect de quiétude et de nonchalance, sûr de lui maintenant, il commença :

« L’enquête sur le vol qui s’est commis hier et dont je crois que la plupart des éléments nous sont maintenant connus sera poursuivie dans ses moindres détails, et l’on saura également ce qui s’est passé à Paris dans l’histoire Sourdenal. Pour le moment, un point est acquis, sans contestation possible. M. Debrioux, c’est bien vous qui êtes venu ici hier soir, par le sous-sol, par l’escalier de service et par les salons ?

— C’est moi.

— C’est bien vous qui avez pris votre casquette, et qui, plus tard, l’avez abandonnée imprudemment ?

— C’est moi.

— Vous qui avez ouvert le coffre et emporté les titres ?

— Ils m’appartenaient, monsieur le Juge d’instruction.

— La question n’est pas là. Répondez. C’est bien vous qui vous êtes emparé de ces titres ?