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Page:Leblanc - Le Prince de Jéricho, paru dans Le Journal, 1929.djvu/100

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faisante qui ranime et rafraîchit tout ce qui sommeille encore dans son cerveau. Quel apaisement ! Quelle résurrection !

En quelques pas résolus, il avance, sachant où il va et ce qu’il veut. Il se dirige vers la table et saisit la photographie de sa mère, qu’il contemple longuement. Ses lèvres murmurent :

— 30 octobre 1914… le jour de sa mort… Oui, j’ai appris cela là-bas, en captivité… La bonne dame de Plouvanec’h…

Il continue son inspection, se remettant en contact avec les heures lointaines. Il prend le volume ouvert et lit à l’endroit marqué : « Quel est ce charme que la troupe des corsaires reconnaissait à son chef ?… »

Il n’achève pas. Il se souvient et prononce tout bas :

— Armelle… Armelle d’Annilis.

Machinalement, il soulève les crayons, les porte-plume, les papiers bien rangés, tous les accessoires d’un bureau d’homme. Le geste vif, sous l’impulsion d’une idée soudaine, il prend dans un coffret une clef avec laquelle il ouvre un tiroir. Il y trouve aussitôt un parchemin qu’il déroule. Il se dresse et lit à haute voix :

« Jean de Plouvanec’h, baron de Bretagne et comte de Normandie, chevalier de Jérusalem et, par ordonnance du roi Saint Louis, rendue en faveur du chef de la Maison après la troisième Croisade, prince de Jéricho.

Il répète anxieusement : « Prince de Jéricho… Jéricho… » Ses yeux fixes réfléchissent. Les cloches s’éteignent au loin.

À cet instant, Nathalie eut l’impression subite et terrifiante que le dénouement allait se produire. Jean de Plouvanec’h ne pouvait s’attarder bien longtemps encore dans cette salle qui n’était qu’une partie du pèlerinage où son élan le poussait de manière irrésistible. Il s’approcherait d’une des fenêtres pour voir le paysage des ruines, et alors il la découvrirait, elle, Nathalie… ou bien il s’en irait vers le palier, et c’était le choc avec les trois bandits !

Drame inévitable… Chacune des secondes que l’horloge annonçait le rendait plus proche. Nathalie maintenant épiait la tapisserie du palier. Les assassins étaient là. Ils se préparaient. L’étoffe tremblait un peu. Entre elle et le chambranle de la porte, le canon du fusil apparut. Et, presque en même temps, deux choses se produisirent : l’appel de Nathalie et une détonation qu’une autre suivit immédiatement.

— Ellen-Rock ! cria la jeune fille, en se jetant en avant.

La double détonation avait retenti. Mais, tout de même, et si peu que ce fut, le cri de secours avait précédé l’attaque de Forville. Ellen-Rock s’était baissé. Les deux balles étoilèrent la glace d’un trumeau qui surmontait un guéridon.

Les événements se succédèrent à l’allure rapide et mathématique d’incidents de théâtre réglés par un metteur en scène. Bien que le hasard et l’impulsion déraisonnée des personnages fussent en jeu, on eût dit qu’ils tenaient tous un rôle appris et souvent répété.

Ellen-Rock, qui d’abord ne s’était pas bien rendu compte de l’intervention de Nathalie, et avait reculé pour se mettre à l’abri, revint de l’avant quand il eut reconnu, dans une vision simultanée, Nathalie, Forville et ses deux acolytes. D’autre part, confondue par ce qu’elle avait fait en avertissant Ellen-Rock, Nathalie restait sur place, au lieu de courir à sa rencontre.

Cette double hésitation devait leur être funeste. Sans même se concerter, les trois complices se ruèrent entre eux deux. Boniface menaçait Ellen-Rock de son revolver. Forville prenait Nathalie à la gorge en proférant :

— Toi, si tu t’en mêles, ton affaire est faite.

Sous l’étreinte implacable, elle ne résista pas. Forville donna l’ordre à Boniface et à Ludovic de la surveiller, et lui-même, le bras tendu, se tourna vers Ellen-Rock.

— Haut les mains !

Ellen-Rock n’obéit pas à l’injonction. Il dit à Nathalie :

— Vous m’avez sauvé, mademoiselle. Je vous remercie.

Puis il dit à Boniface :

— C’est donc toi, major Boniface ? Tu t’es donc acoquiné avec cette vermine de Forville ? Ça ne te suffit pas de m’avoir cassé la tête une première fois et jeté à l’eau ? Bigre ! tu es gourmand.