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les et, d’un ton railleur, où il y avait de l’hostilité :

— Je vois que monsieur a toutes les qualités que l’on nous avait annoncées…

— Acrobate, illusionniste… interrompit Ellen-Rock.

— Je ne précise pas, dit Forville. Mais si par hasard monsieur possédait également le don de double vue, pourrait-il lire en moi ?

— Certainement, déclara Ellen-Rock.

— En ce cas, vers qui vont mes pensées ?

— Vers une femme très belle.

Forville regarda Nathalie.

— Une femme dont je sollicite la main ?

— Une femme dont la photographie est là, dans votre portefeuille.

Nathalie se mit à rire.

— Et comme je ne vous ai jamais donné la mienne, Forville, cela prouve…

— Cela prouve que monsieur se trompe… volontairement ou non, déclara Forville d’une voix sèche.

— Cette photographie, reprit Ellen-Rock, avec beaucoup de calme, est celle d’une jolie femme que vous accompagniez hier, à l’Opéra de Monte-Carlo.

La figure de Forville s’empourpra de colère. Nathalie, qui le connaissait, s’interposa en plaisantant :

— Ne vous défendez pas, Forville ! J’admets fort bien qu’on me fasse la cour…

— Tout en coquetant avec une poule, acheva Maxime. Allons, baron d’Ellen-Rock, vous être un maître. Il ne vous reste plus qu’à nous éclairer sur l’état d’esprit de Nathalie Manolsen.

— Inutile, dit Nathalie. J’avoue tout de suite que mon état d’esprit se borne à une curiosité éperdue.

— Puis-je la satisfaire ? dit Ellen-Rock. Je répondrai à toutes vos questions.

Nathalie réfléchit, ou plutôt tenta de réfléchir. Elle qui gardait toujours vis-à-vis des hommes un air d’indifférence polie, comme si rien de leurs paroles ou de leurs actes n’eût pu l’intéresser, écoutait celui-ci avec une agitation qu’elle ne cherchait pas à dissimuler.

— Trois questions suffiront, dit-elle. La plus insignifiante d’abord. Pourquoi avez-vous quitté la clinique de Marseille ?

— Je m’ennuyais.

— Mais les dix mille francs ?

— Je m’étais aperçu que j’avais encore au doigt une bague dont la pierre, un très beau rubis, était tournée à l’intérieur, et qui avait échappé à l’attention de mes agresseurs. La fenêtre de ma chambre ouvrait sur une rue. J’épiai un passant. J’en vis un qui offrait la figure la plus honnête et la plus stupide. Je lui confiai la bague. Il la vendit à un bijoutier et vint me remettre l’argent. J’en laissai le quart en remerciement des soins donnés. Avec le reste je m’enrichis. Vous voyez la nature de mes miracles.

Nathalie continua :

— Deuxième question. Votre passé ?

— Je l’ignore. J’ignore même tout