Page:Leblanc - Le Prince de Jéricho, paru dans Le Journal, 1929.djvu/65

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À quatre heures, Nathalie monta dans son auto et donna les instructions nécessaires à son chauffeur. Elle choisissait une troisième route, plus longue, par Rocquencourt. Le trajet la détendit. Elle pensait peu aux menaces de Forville dont elle ne gardait qu’une image comique et qui l’eût fait plutôt rire. En réalité, de toute cette scène, qui n’avait d’ailleurs pas duré plus de trente ou quarante minutes, elle ne se souvenait guère que du cri qui lui avait échappé, lorsque Forville la tenait dans ses bras et qu’elle était près de subir l’outrage de son baiser. Ellen-Rock !… Ellen-Rock !… L’effroi n’avait point laissé de trace en elle. Mais ce cri résonnait encore à son oreille, et quoiqu’elle essayât de l’interpréter comme une plaisanterie ou comme une ruse, elle savait fort bien que c’était là l’expression même de son angoisse, et que tout son espoir, durant une seconde, s’était résumé dans ces trois syllabes : Ellen-Rock !…

Cela l’étonnait. Elle n’avait point menti en disant à Forville qu’Ellen-Rock lui inspirait plutôt de l’éloignement et, d’un autre côté, elle ne cessait de constater l’indifférence de cet homme à son égard. Alors pourquoi cet appel ? Pourquoi cette confiance irréfléchie ? Elle acceptait donc la protection d’Ellen-Rock ? Elle estimait naturel et normal qu’il tînt le rôle d’un garde du corps et qu’il rut toujours prêt à la secourir ? Et si on la menaçait, c’était son nom qui jaillissait du plus profond de son être.

Elle traversa le parc de Versailles et, laissant sa voiture à la grille, marcha lentement le long du boulevard de la Reine. Elle n’avait alors aucun soupçon et aucun pressentiment. Cependant, au numéro indiqué, elle fut surprise de voir une vieille maison à deux étages et à toit mansardé, qu’elle reconnaissait pour s’y être rendue jadis avec son père. Elle était sûre de ne pas se tromper. Cette maison appartenait à M. Manolsen et, lors de la succession, avait été mise en vente et achetée elle ne savait par qui. Derrière le logement principal, dont toutes les persiennes étaient closes, il y avait une cour plantée de quelques arbustes et, au fond de la cour, un grand maga-