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Page:Leblanc - Le Prince de Jéricho, paru dans Le Journal, 1929.djvu/66

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sin qui servait de dépôt à M. Manolsen et qui donnait sur une rue parallèle au boulevard. Et voilà que le hasard y conduisait son amie Muriel !

Gaiement, elle sonna. Une femme à cheveux blancs, et qui semblait une dame de compagnie, lui ouvrit.

— Miss Muriel ? demanda Nathalie.

— Mademoiselle vous attend, dit la dame. Si vous voulez bien me suivre au premier étage.

Nathalie aperçut, au bout du vestibule, la cour plantée d’arbustes, et reconnut l’escalier sombre, dont la rampe était formée par un gros cordon de velours rouge. À moitié chemin, la vieille dame s’effaça. Nathalie continua de monter et gagna un palier si obscur qu’elle tâtonna, les bras en avant. À ce moment, une légère inquiétude l’envahit.

Elle eut l’idée de s’en aller. Mais une mains saisit la sienne. Un plafonnier s’alluma, et Forville s’écria :

— Je vous l’avais bien dit, Nathalie, que notre entretien n’était pas terminé et qu’il s’achèverait tout autrement ! Qu’en pensez-vous, ma jolie ?

Elle n’essaya pas de résister. Elle ne tenta pas non plus d’appeler. À quoi bon ? La vieille dame avait disparu, et personne ne pouvait l’entendre.

Forville, d’ailleurs, l’entraînait avec une brutalité méchante, en l’insultant et en ricanant.

— Que pensez-vous de cela, ma jolie ? Va-t-on être un peu plus accessible ?

Le palier, circulaire, offrait trois portes. D’un geste brusque, il poussa Nathalie dans la chambre de gauche.

— Entre là, ordonna-t-il, d’un ton de maître.

Mais, comme il se précipitait derrière elle, il fut cloué sur le seuil et proféra un juron.

Au milieu de la pièce, qu’une forte ampoule éclairait, car les volets étaient hermétiquement clos, debout, les mains dans ses poches, Ellen-Rock attendait.

Toute la violence de Forville, tout l’effort qu’il avait fourni dans son entreprise, toute sa déception, toute son humiliation le jetèrent, dans un élan de haine furieuse, contre l’ennemi qu’il exécrait. Moins grand qu’Ellen-Rock, mais plus lourd, plus massif, il fonça comme un taureau, avec la certitude que donnent la puissance et la colère.

Son échec le confondit. Le choc n’avait même pas ébranlé l’adversaire qui parut ne pas s’en apercevoir et qui, tout au plus, retirant les mains de ses poches, les projeta comme un rempart.

— Que faites-vous là, voyou ? bégaya Forville, que sa nature grossière emportait. De quel droit vous mêlez-vous de mes affaires ? Est-ce à vous de protéger Nathalie ? À quel titre, hein ? Comme amant ?

Avant même qu’il se rendît compte de la riposte, il reçut une gifle qui le fit vaciller et qui le laissa pantelant.

Le duel se terminait sans avoir commencé réellement.