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vous, Forville, quand une femme n’est pas conquise, après une cour de plusieurs années, il est bien rare que cette cour aboutisse.

— Qui donc vous troublera jamais ?

— Un inconnu.

— Par quels moyens ?

— Le coup de foudre. Je crois au coup de foudre.

Le visage de Forville se contracta. Il souffrait réellement.

— Alors, aucun espoir ?

— On peut toujours espérer.

— Votre père m’y avait autorisé, Nathalie. Il m’appréciait. Il savait combien je vous étais attaché, et vous vous rappelez, à Naples, lors de ma dernière entrevue, il avait accédé à ma demande en termes catégoriques, et devant vous… et vous n’avez pas dit non.

Elle plaisanta :

— Il y a tant de distance entre ne pas dire non et dire oui, et vous êtes si maladroit, mon pauvre Forville !

— En quoi ?

— Vous tâtonnez. Vous cherchez mon point faible.

— Vous n’en avez pas.

— Vous le cherchez quand même. Vous voudriez me prendre au trébuchet, comme un oiseau. Or, si j’aime la force et l’audace, j’ai horreur de l’embûche, de l’attaque sournoise, des yeux qui brillent de convoitise, de la main fiévreuse qui est sur le point de vous saisir.

Forville s’impatienta, et d’un ton presque rude :

— Mais enfin, que voulez-vous, Nathalie ! Que dois-je faire pour réussir ? Avouez que votre conduite avec moi est exaspérante.

Elle ne répondit pas. Elle écoutait, bercée par la musique, et il avait l’impression que toutes ses paroles tombaient dans le vide. La voix de la chanteuse la troublait bien davantage, et elle riait ingénument des balourdises de l’Italien.

Quand ce fut terminé, Maxime fit servir du porto aux trois musiciens, puis les conduisit jusqu’à la grille du jardin et la referma sur eux.

— Ouf ! dit-il en revenant, je suis plus tranquille. D’ailleurs, j’ai examiné leurs chaussures. Elles ne correspondent pas aux empreintes relevées par moi. Tout de même, ouvrons l’œil.

Comme il passait près de Nathalie, il entendit Forville qui répétait :

— Dites, Nathalie, que voulez-vous ? Il faut en finir. Que voulez-vous ?

Et Maxime répliqua :

— De l’amour, Forville, mais du respect. De l’ardeur, mais de la soumission. Des actes, mais des paroles… Bref, des tas de choses contradictoires au milieu desquelles vous êtes obligé de vous perdre. Je vous plains, Forville.

Ils retournèrent tous sur la terrasse, et Forville reprit :

— Vous en demandez trop à la vie, Nathalie.

— Je m’en accuse, dit-elle en riant. J’ai des prétentions et des ambitions qui ne sont pas du tout en rapport avec mon mérite. Je m’imagine, sans la moindre raison, que je suis réservée à un destin exceptionnel, et que le monde entier se doit de me fournir des satisfactions particulières.

— Ce qui vous donne un peu de mépris pour les autres, observa Forville.

— Les autres m’intéressent beaucoup, au contraire, mais je ne tarde pas à trouver qu’ils sont trop faibles, ou trop prudents, ou trop sages, ou trop habiles, et je me détourne d’eux.

Le docteur hocha la tête.

— Vous n’aimerez jamais, Nathalie.

— Je commence à le croire. Ou alors il me faudrait dénicher l’oiseau bleu.

— Sous quelles espèces se présente pour vous l’oiseau bleu ?

— Sous l’apparence d’un héros, dit-elle.

— Qu’appelez-vous un héros ?

— J’appelle ainsi ceux qui vont au-delà.

— Au-delà de quoi ?

Elle redoubla de rire.

— Au-delà de tout, au-delà de leurs droits, au-delà des conventions, au-delà de leurs devoirs, au-delà même de leurs forces.

Forville se moqua d’elle.

— Vous êtes une romantique, Nathalie.

— Non, une romanesque.

— C’est très démodé, dit Maxime.