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le bras droit sans regarder les objets qu’il allait saisir. Ses yeux ne quittaient pas le visage tranquille de Nathalie. Sa main frémissait, prête à saisir ou à tuer, selon le geste de Nathalie.

Ellen-Rock, à son tour, avait entrebâillé la porte et, selon son plan, il tâtonnait pour trouver les deux interrupteurs. Il voulait que, d’un coup, la lumière jaillît à flots, et que l’adversaire l’aperçût en pleine face. L’épreuve serait décisive. Et c’était à quoi il aspirait de toutes ses forces. Que lui, Ellen-Rock, fût Jéricho, cela, sa raison et son instinct n’y consentaient pas. Mais tant de faits le traquaient de toutes parts qu’il lui fallait une certitude brutale pour échapper à l’angoisse du doute.

Ce fut rapide. La convoitise hâta l’action de Boniface. Au risque d’être entendu et de réveiller Nathalie, il rassembla, de ses deux mains rapaces, les bijoux et le médaillon, et rafla le tout.

C’était fini. La tentative avait réussi. Il ne songea plus qu’à s’enfuir avec son butin, et il pivota pour rejoindre son complice.

À ce moment précis, le lustre, puis deux appliques s’allumèrent. La pièce fut illuminée.

Avisant un homme qui lui barrait le chemin, il fonça sur lui. Mais il s’arrêta net, comme s’il recevait un choc. Son buste se renversa. Il fut sur le point de tomber. Sa face prit une expression d’épouvante folle. Vision d’enfer ! Était-ce un fantôme ? Était-ce celui qu’il avait tué ? Il dégoisa, d’une voix étranglée :

— Jéricho !… Jéricho !…

Le nom maudit se prolongea dans le silence. Ellen-Rock chancela. Puis, tout de suite, se redressant, exaspéré par une accusation qui semblait la pire des infamies et contre laquelle tout son être se révoltait, il se précipita sur Boniface et l’agrippa de ses cinq doigts à la gorge.

— Tu mens ! Tu mens !

L’autre, la face violette, les yeux hagards, mais obstiné malgré tout, et que la peur même de mourir n’eût pas réduit à se taire, bredouillait indéfiniment, et avec de moins en moins de force :

— Jéricho… Jéricho… il vit encore… c’est lui… je le reconnais… Jéricho… Jéricho…

Maxime accourait, ainsi que Nathalie, et tous deux essayaient de dégager Boniface. Un moment, Ellen-Rock lâcha prise pour crier à Nathalie :

— Il ment ! Si j’étais Jéricho, je me souviendrais.

Boniface profita de ce répit pour se sauver, referma derrière lui la première, puis la seconde porte, poursuivi par Maxime qui, comme un bon chien de chasse, s’élançait. Et, déchaîné, ne sachant plus ce qu’il faisait ni ce qu’il disait, marchant comme un fou, bousculant les chaises, fuyant l’image blême que les glaces reflétaient, et qui était l’image de Jéricho et sa propre image, Ellen-Rock bégayait :