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Paris… ou le train de Nantes… je ne sais pas… Hâtez-vous.

En demandant à Maxime, deux semaines après les événements qui l’avaient bouleversée si profondément, d’organiser ce voyage en Bretagne, Nathalie n’avait d’autre but que d’acquérir une certitude à laquelle, d’abord, elle s’était soumise, et dont elle cherchait par la suite à douter. Refuser de croire qu’Ellen-Rock fût Jéricho, elle ne le pouvait pas. Sa raison et sa logique s’inclinaient devant cette réalité que tant de preuves rendaient indiscutable. Mais son instinct se révoltait. Elle voulait plus de lumière encore. Elle voulait l’évidence et l’aveu même des faits.

Il n’y avait pas là de sa part faiblesse ou lâcheté, et pas davantage ce désir de vengeance qui avait secoué Pasquarella et qui, s’évanouissant au moment suprême, laissait la jeune Italienne sans forces, à genoux et sanglotante, devant celui qu’elle aimait. Non. Elle voulait savoir, simplement savoir si Ellen-Rock, c’est-à-dire Jéricho, était bien l’assassin de son père, et si elle avait le droit de s’abandonner à cette haine dont elle sentait en elle l’emportement furieux.

Aussi, dès qu’ils furent revenus à Brest, Maxime n’eut-il aucune peine à la retenir.

— Je ne vous demande pas de voir Ellen-Rock, et j’ai fort bien compris votre désarroi. Mais la piste est sérieuse. Rentrez à Paris si cela vous chante, mais écoutez-moi d’abord. Car, enfin, depuis quinze jours, nous vivons ou plutôt vous vivez dans une agitation où il est impossible de placer un mot raisonnable et de développer une argumentation judicieuse. Dès que je prononce le nom d’Ellen-Rock, ou de Jéricho, vous êtes sur le point de vous évanouir. Enfantillage ! Il faut, au contraire, que je parle d’Ellen-Rock, et que je vous dise le point exact où il en est, physiquement et moralement.

Nathalie écoutait, Maxime s’en réjouit et continua :

— Physiquement, très bien. Un homme trempé comme lui réagit tout de suite. Moralement ? Eh bien, ce fut dur. Pendant deux jours, le docteur Chapereau, qui, par chance, se trouvait à Paris, et moi, nous nous sommes relayés près de lui, tellement nous redoutions un acte de désespoir. Ce qui nous rassura, c’est que, le troisième jour, il nous mit à la porte. Il était sauvé.

Maxime reprit haleine.

— Sauvé, mais abattu. Il avait alors l’idée fixe de se constituer prisonnier. « Si les autres sont des criminels, répétait-il, que suis-je, moi ? Et si ma volonté était de les livrer à la justice, ne dois-je pas me dénoncer le premier ? » Et puis… et puis, il ne fut plus question de cela. Et peu à peu, nous avons vu que la vie reprenait en lui, à mesure que certains éléments de son passé ressuscitaient. Si peu loquace qu’il soit, il lui est échappé certaines phrases qui prouvent que le flot des souvenirs reprend son cours. À l’heure actuelle, il discerne, sans aucun doute, une grande partie de son existence. Il se découvre. Il lève ce voile-ci, et puis celui-là. Et bientôt, il se verra tout entier. Les souvenirs de son enfance afflueront. Il connaîtra son nom véritable. Et si ce nom est Plouvanec’h, comme j’en suis persuadé, il viendra au château de Plouvanec’h, où le spectacle de son enfance le guérira complètement, le docteur Chapereau l’affirme. Mais il n’en est pas là, et il n’en sera pas là avant quelques jours. En ce cas, pourquoi ne pas en profiter pour suivre notre enquête jusqu’au bout ?

La jeune fille se tut, mais ne partit point.

Le lendemain, Maxime obtenait la communication téléphonique avec Ellen-Rock. Celui-ci n’avait donc pas quitté Paris.

Nathalie attendit un jour encore, puis elle se laissa convaincre, et ils retournèrent à Plouvanec’h. Par précaution, ils laissèrent l’auto dans les bois et s’en vinrent par un sentier d’où l’on découvrait tout l’entassement des ruines. Et, tout en marchant, Maxime formulait :

— Ayez confiance en moi, Nathalie. Cette affaire est bien conduite, et dans un secret absolu, ce qui est nécessaire pour la réussite de mes plans. Ellen-Rock ignore d’où je lui ai téléphoné. Il ignore où vous êtes et où je suis, de même que Janine et Henriette et de même que le docteur. Boniface et Ludovic, leur coup manqué, sont en fuite. Enfin, j’ai appris, de source sûre, que Forville s’est embarqué pour l’Amérique. Donc nous sommes tranquilles.