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preintes qui marquaient le voisinage à quelque distance de la grille. Mais que signifiaient ces empreintes ? Quels ennemis annonçaient-elles ?

Le bruit se précisant, elle avança doucement vers la première des deux fenêtres et se baissa en murmurant :

« Oh ! mon Dieu, est-ce possible ! »

Avec précaution et de manière à n’être pas vue, elle regarda. C’était bien, comme elle l’avait cru dès l’abord, Boniface. Il débouchait dans l’espace qui s’étendait de ce côté du donjon. Un peu après, deux voix d’homme chuchotèrent au-dessous de la fenêtre. Plus tard, des pas montèrent furtivement l’escalier.

Alors elle demeura dans l’embrasure et se cacha derrière la tapisserie, dont la trame usée formait comme un fin treillage qui lui permettait d’observer les nouveaux venus.

Ils ne tardèrent pas à paraître sur le palier. Elle reconnut Forville. Boniface le suivait. Ils étaient vêtus comme des paysans, ou plutôt comme des bûcherons.

— Elle n’est pas là, dit Boniface, au premier coup d’œil, et sans prendre la précaution d’inspecter les embrasures.

— Je le pensais bien, dit Forville. Maxime est parti avec la petite d’Annilis et Geoffroi. Mais je ne pense pas que Nathalie soit venue ce matin.

— En tout cas, de quoi se mêlent-ils tous les deux ? Qui a pu les diriger vers ce château ? Ah ! si elle nous embête aujourd’hui, tant pis pour elle.

Nathalie frissonna et fut sur le point d’enjamber la fenêtre ouverte et de se laisser glisser jusqu’à terre. Mais elle songea que la fuite n’était pas urgente et qu’il serait toujours temps de se sauver.

Elle écouta donc. Boniface ricanait :

— Ne vous en faites pas, Forville. Nous sommes bien seuls. Dès que Ludovic nous aura rejoints, on le mettra en faction.

— Bonne idée, approuva Forville. Nous disposons d’au moins deux heures. Ça suffit, mais à condition que personne ne s’interpose entre Ellen-Rock et nous.

Boniface ricana de nouveau :

— Ça m’amuse quand vous l’appelez Ellen-Rock. Il sait pourtant bien qui il est depuis le soir où je lui ai jeté à la face son nom de Jéricho. Et vous le savez aussi puisque je vous ai raconté toute son histoire, depuis A jusqu’à Z.

Il se frotta les mains.

— Ah ! Forville, vous avez eu du flair ce soir-là de vous poster devant l’hôtel et de reconnaître au passage les deux musiciens de Mirador, les sieurs Boniface et Ludovic. On était fait pour s’entendre. Et il fallait bien être trois, puisqu’ils sont trois, eux aussi, à savoir : Ellen-Rock, Jéricho et Plouvanec’h !

— Oui, murmura Forville, mais ces trois-là, une seule balle suffit pour les abattre. Nous sommes toujours d’accord, Boniface ?

Boniface ne répondit pas. Il écoutait.

— Chut ! ordonna-t-il.

— Quoi ?

— On a sifflé.

— Eh bien ?

— Ludovic.

— Il est plutôt en avance.

— Oui, il avait mis sa bicyclette à la consigne de la gare. De sorte que si Jéricho a bien pris le même train que lui, Ludovic le précède d’un bon quart d’heure.

Il y eut un second coup de sifflet, auquel Boniface répliqua par le même signal. Presque aussitôt Ludovic entra, essoufflé.

— Il vient ! dit-il.

L’émotion des deux autres fut visible.

— Ah ! tu es sûr ?

— Sûr et certain.

— Alors, raconte, et vivement, dit Boniface.

— Rien à raconter, dit Ludovic. Vous m’avez envoyé à Paris, ces jours-ci, pour surveiller le monsieur. J’ai fait connaissance avec son chauffeur et, par lui, j’ai su que Jéricho s’en allait en voyage, hier soir. Je l’ai suivi jusqu’à la gare Montparnasse, où il a pris le train de Bretagne. Alors je vous ai expédié un télégramme, que vous avez dû recevoir ce matin puisque vous êtes à l’affût, et je suis monté dans le même train. À la gare de Plouvanec’h il a enfilé le raccourci qui conduit vers la brèche.

— Donc il entrera par ici ? dit Forville, en désignant la porte basse.