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GRISERIE

— Ma petite Dominique, tu exagères.

— Mais non, Patrice, je dis la vérité. Et c’est parce que j’ai senti la vraie admiration, la sincère amitié, sans jalousie et sans arrière-pensée, qu’Antoine et Richard ont pour toi que j’ai été heureuse qu’ils soient nos intimes. Rien n’est plus odieux qu’une femme qui s’imagine que son mari ne vivait pas avant elle, et qui veut couper toutes ses relations antérieures. Il faut savoir seulement discerner les amis vrais, et à ce point de vue Antoine et Richard sont sans défaut. J’ai su les juger.

— Dominique, tu es une femme parfaite.

Elle sourit.

— Tu exagères à ton tour, je ne suis pas parfaite, mais je t’aime… Mais si tu veux aller là-bas, mon chéri, il nous faudrait partir.

Patrice avait demandé l’addition. Tous deux se levèrent et traversèrent, entre les tables, le jardin. Les dîneurs regardaient le beau couple qu’ils formaient avec leur stature élégante, lui vigoureux et de haute taille dans le smoking bien coupé, elle grande aussi, élancée et souple, ses formes harmonieuses dessinées par l’étoffe molle qui la vêtait.

— C’est Patrice Martyl, le grand avocat, et sa femme.

Dominique percevait ces mots chuchotés sur leur passage. Malgré qu’elle fût sans vanité puérile c’était une satisfaction d’amour-propre à quoi elle n’était pas insensible… Encore une petite joie qui lui était procurée par Patrice… Elle se serra un peu contre lui avec une fierté ingénue et qui signifiait : « Oui, il est à moi et je suis à lui !… »

Devant leur auto le patron du restaurant les attendait. C’était un homme important, son restaurant très chic était prospère malgré la crise, il en tirait de l’orgueil et dans sa clientèle réservait ses attentions aux personnages qu’il en jugeait dignes.

— Eh bien, mon cher maître, vous avez été satisfait, et madame aussi ?

— Mais oui, dit Patrice, en lui serrant la main, geste cordial que le restaurateur accueillit avec une déférence tempérée de dignité. Nous avons fort bien dîné.