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Page:Leblanc - Le Scandale du gazon bleu, 1936.djvu/143

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LA FEMME D’UN SEUL HOMME

vers besoin de se faire du mal à lui-même, sur la vieille plaie, si longtemps béante. Si la blessure existait encore, elle ne saignait plus. Il ne retrouvait même plus sa marque, comme une cicatrice que le temps a effacée… le temps et le désir de vivre, et l’amour de Dominique… Il était à présent conquis, investi, dominé, — et jusqu’au bout de sa vie —, par cet amour plus fort que la colère, que la jalousie, que le dégoût qui l’avaient ulcéré, par cet amour plus fort que le souvenir.

Dominique, avec sa sage et douce fermeté, l’avait exigé, et Patrice avait obéi, sans bien savoir qu’il avait obéi. Il n’avait même pas à se défendre contre l’amertume du passé. Cette amertume n’était plus. Quand par hasard il songeait à la hideuse épreuve, c’était pour se dire, en toute bonne foi : « J’étais fou ! » Oui, fou d’avoir tant souffert pour si peu de chose !… pour une erreur… et même si ce n’était pas une erreur, il n’en voulait plus rien savoir ! Tout cela lui paraissait irréel comme les deux femmes apparues un soir, nues et dansantes sur une pelouse bleuie par la lumière de rêve de deux hautes lampes bleues… Un rêve… n’était-ce pas un rêve ?… Était-ce bien à lui que c’était arrivé ?… Cette scène avait-elle existé ? Tous ces acteurs, dont plusieurs avaient disparu dans la mort, dont plusieurs avaient disparu dans l’inconnu du monde, n’avaient-ils pas été de vains fantômes créés par la fantasmagorie d’une heure d’ivresse ? Dominique et lui-même subsistaient seuls, et Patrice ne voulait plus savoir que cela… Il était à jamais circonvenu par une douce tendresse attentive, par une passion ardente et sensuelle, par le baiser profond d’une bouche avide, par l’étreinte sans réserve d’un corps adorable dont toute la chair éclatante, savoureuse et parfumée, vibrait sous sa caresse, se pâmait dans ses bras… Rien ne comptait que cela… Il se résignait à être heureux !…

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Et Dominique, que pensait-elle au juste ? Elle ne le savait pas elle-même. Sa féminité, plus complexe et plus subtile que la mentalité directe et absolue de Patrice, connaissait des contradictions, des incertitudes, des retours sur soi-même, ignorés de l’homme… Et Dominique ne faisait à personne confidence des variations de sentiments et d’impressions qu’elle gardait jalousement dans le