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LA CHASSE AUX COLOMBES

d’ailleurs, un quart d’heure à peine au grand regret des spectateurs, mais comme consolation, ils étaient prévenus qu’une seconde partie du spectacle suivrait la première.

Voici en effet que la danseuse à chevelure châtaine a ramassé sa gaze et s’en enveloppe avec des gestes frileux, harmonieux, chastes, tout en reculant peu à peu vers la droite du plateau ; tandis que la blonde, voilée aussi à présent de sa gaze, avance à sa suite lentement tout en tendant les bras comme pour la retenir.

La première entre et disparaît dans une cabane de branchages — c’est le vestiaire. — L’autre, la figure tendue en un sourire de désir et d’extase, continue d’avancer. Mais elle ne voit plus son amie, elle s’arrête, hésitante. Une expression de doute et de tristesse assombrit son joli visage.

— La Police !!!…

Delbot a été devancé dans son action, il a trop attendu. Quelqu’un vient de le reconnaître et de donner l’alarme. C’est un tumulte général, un sauve-qui-peut effaré. Delbot, furieux, a lancé un coup de sifflet strident, s’est précipité, ainsi que l’inspecteur Havard, vers les colombes, leurs proies gracieuses.

La danseuse blonde a voulu courir, fuir. Épouvantée, elle trébuche, tombe. En une seconde, l’autre jeune femme s’est couverte de son manteau. Elle ressort de la cabane, s’élance prompte comme une biche, saute agilement par une brèche de la clôture et parmi la débandade générale, disparaît dans le bois. Celle-là est hors d’atteinte. Delbot voit qu’il ne la rattrapera pas : il se retourne avec la rapidité d’un fauve vers la danseuse blonde que l’inspecteur Havard vient de saisir comme elle se relevait ; il en tient une au moins…

Elle est éplorée, défaillante, désespérée. Rien ne lui importe que la disparition de sa compagne. D’une voix plaintive comme la voix d’une nymphe abandonnée, au temps mythologique, et qui éclate en un cri pour mourir et se traîner sur les dernières syllabes, elle appelle :

— Darling !… Darling !… Isabel-la !… Isabel-la !…

C’est un cri déchirant, lamentable, presque un cri d’agonie ; c’est la plainte presque éteinte d’une colombe blessée dont la vie s’en