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LE SCANDALE DU GAZON BLEU

lui laissant tout ignorer des pensées qu’il avait, des dangers qu’il redoutait, de la marche de l’enquête. Et Dominique, sans une protestation, sans une plainte, sans une question, s’était soumise à ce régime d’isolement du monde, d’ignorance des faits. Avec une volonté opiniâtre, elle avait dompté ses curiosités, ses inquiétudes. Elle ignorait tout. Depuis dix jours, elle n’avait échangé avec son mari, aucune parole intime. C’en était assez, Patrice décidait de rompre ce silence. Tous deux allaient causer librement, franchement.

Patrice ignorait l’état d’âme de Dominique. Physiquement, après sa cure de demi-solitude, la jeune femme allait mieux et même allait bien. Sa vigoureuse jeunesse avait réagi sans peine contre l’accablement d’un moment. C’est moralement qu’elle était atteinte. Elle ne pouvait accepter la déchéance qu’elle avait subie, si brève eût-elle été, cette déchéance qui avait creusé un abîme entre elle et son mari. Une autre qu’elle, avec plus de maîtrise de soi, plus d’expérience du mensonge, eût pu sauver leur intimité, leur amour, en altérant la vérité. Pourquoi Dominique n’avait-elle pas eu la présence d’esprit au premier moment de mentir, ou tout au moins de ne pas tout dire ? Puisqu’elle avait cru de bonne foi qu’elle était tombée dans les bras de son mari en cette soirée fatale, pourquoi ne pas l’affirmer hautement, effrontément ? Elle le croyait… Elle n’en était pas sûre… Quelle imprudence ! Quelle folie ! Quelle affreuse erreur d’avouer ce doute ! Pourquoi ne pas crier sa certitude relative :

— Mais c’est toi qui m’as prise ! C’est toi ! Je le sais, j’en suis sûre, c’est toi ! Si tu n’as pas vu clair dans la nuit, si le champagne t’a égaré, si tu n’as pas reconnu ma caresse, Patrice, crois-moi, j’ai reconnu la tienne. C’est à toi, mon mari, mon amant, que je me suis donnée. Il n’y a pas de griserie qui tienne, crois-tu que j’aurais pu me donner à un autre ? Tu m’affirmes que tu ne sais pas… Moi, je t’affirme avec certitude que je sais !

Mais elle n’a pas songé à mentir ainsi, à mentir utilement, charitablement pour eux deux. Elle a, naïvement et tout de suite, proclamé