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— Ah ! le démon, murmura le préfet, il a joué sa partie en maître !

De fait, Gaston Sauverand prenait la fuite sans rencontrer personne.

— Arrêtez-le ! Arrêtez-le ! vociféra M. Desmalions.

Il y avait deux automobiles le long du trottoir, qui à cet endroit est fort large, l’automobile du préfet de police et celle que le sous-chef avait fait venir pour le prisonnier. Les deux chauffeurs, assis sur leurs sièges, n’avaient rien perçu de la bataille. Mais ils virent le saut, dans l’espace, de Gaston Sauverand, et le chauffeur de la préfecture, sur le siège duquel on avait déposé un certain nombre de pièces à conviction, prenant dans le tas et au hasard la canne d’ébène, seule arme qu’il eût sous la main, se précipita courageusement au-devant du fugitif.

— Arrêtez-le ! arrêtez-le ! criait M. Desmalions.

La rencontre se produisit à la sortie de la cour. Elle fut brève. Sauverand se jeta sur son agresseur, lui arracha la canne, fit un bond en arrière et la lui cassa sur la figure. Puis, sans lâcher la poignée, il se sauva, poursuivi par l’autre chauffeur et par trois agents qui surgissaient enfin de la maison. Il avait alors trente pas d’avance sur les agents. L’un d’eux tira vainement plusieurs coups de revolver.

Lorsque M. Desmalions et le sous-chef Weber redescendirent, ils trouvèrent au second étage, dans la chambre de Gaston Sauverand, l’inspecteur principal étendu sur le lit, le visage livide.

Frappé à la tête, il agonisait.

Presque aussitôt il mourut.

Le brigadier Mazeroux, dont la blessure était insignifiante, raconta, tandis qu’on le pansait, que Sauverand les avait, l’inspecteur principal et lui, conduits jusqu’à la mansarde, et que, devant la porte, il avait plongé vivement la main dans une sorte de vieille sacoche accrochée au mur entre des tabliers de domestique et des blouses hors d’usage. Il en tirait un revolver et faisait feu à bout portant sur l’inspecteur principal, qui tombait comme une masse. Empoigné par Mazeroux, le meurtrier se dégageait et envoyait trois balles dont la troisième atteignait le brigadier à l’épaule.

Ainsi, dans la bataille où la police disposait d’une troupe d’agents exercés, où l’ennemi, captif, semblait n’avoir aucune chance de salut, cet ennemi, par un stratagème d’une audace inouïe, emmenait à l’écart deux de ses adversaires, les mettait