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Gaston Sauverand l’a décidé, Gaston Sauverand ou tel autre qui dirige l’affaire. Et le complice est là, dans cet hôtel, au cœur de la place, à mes côtés. Il me guette. Il marche sur la trace de mes pas. Il vit dans mon ombre. Il cherche, pour me frapper, la minute opportune et l’endroit favorable. Eh bien, j’en ai assez. Je veux savoir, je le veux, et je le saurai. Qui est-il ?

La jeune fille avait un peu reculé et s’appuyait au guéridon.

Il avança d’un pas encore et, sans la quitter des yeux, tout en cherchant sur le visage inaltérable un indice de trouble, un frisson d’inquiétude, il répéta, plus violemment :

— Qui est-il, ce complice ? Qui donc ici a juré ma mort ?

— Je ne sais pas… dit-elle, je ne sais pas… Peut-être n’y a-t-il pas de complot, comme vous le croyez… mais des événements fortuits…

Il eut envie de lui dire, avec son habitude de tutoyer ceux qu’il considérait comme des adversaires :

« Tu mens, la belle, tu mens. Le complice, c’est toi. Toi seule, qui as surpris ma conversation téléphonique avec Mazeroux, toi seule as pu aller au secours de Gaston Sauverand, l’attendre en auto au coin du boulevard, et, d’accord avec lui, rapporter ici le tronçon de canne. C’est toi, la belle, qui veut me tuer pour des raisons que j’ignore. La main qui me frappe dans les ténèbres, c’est la tienne. »

Mais il lui était impossible de la traiter ainsi, et cela l’exaspérait tellement de ne pas oser crier sa certitude par des mots d’indignation et de colère, qu’il lui avait pris les doigts entre les siens, et qu’il les étreignait durement, et que son regard et toute son attitude accusaient la jeune fille avec plus de force encore que ne l’eussent fait les paroles les plus âpres.

Se dominant, il desserra son étreinte. La jeune fille se dégagea d’un geste rapide, où il y avait de la révolte et de la haine. Don Luis prononça :

— Soit. J’interrogerai les domestiques. Au besoin, je renverrai ceux qui me sembleront suspects.

— Mais non, mais non, fit-elle vivement. Il ne faut pas… Je les connais tous.

Allait-elle les défendre ? Était-ce des scrupules de conscience qui l’agitaient, au moment où, par sa duplicité et son obstination, elle sacrifiait des serviteurs dont elle savait la conduite irréprochable ?