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loin. On fermait la dernière portière. Il courut le long des wagons en s’accrochant aux barres de cuivre.

— Votre billet, monsieur !… vous n’avez pas de billet !… cria un employé d’un ton furieux…

Don Luis continuait sa voltige sur les marche-pieds, lançant un coup d’œil à travers les vitres, repoussant les personnes dont la présence aux fenêtres le pouvait gêner, tout prêt à envahir le compartiment où se tenaient les deux complices.

Il ne les vit pas dans les dernières voitures. Le train s’ébranlait. Et, soudain, il jeta un cri. Ils étaient là, tous deux, seuls ! Il les avait vus ! Ils étaient là ! Florence, étendue sur la banquette, sa tête appuyée contre l’épaule de Gaston Sauverand, et celui-ci penché sur elle, ses deux bras autour de la jeune fille !

Fou de rage, il leva le loquet de cuivre et saisit la poignée.

Au même instant, il perdit l’équilibre, tiré par l’employé furieux et par Mazeroux, qui s’égosillait :

— Mais c’est de la folie, patron, vous allez vous faire écraser.

— Imbécile ! hurla don Luis… ce sont eux… lâchez-moi donc…

Les wagons défilaient. Il voulut sauter sur un autre marchepied. Mais les deux hommes se cramponnaient à lui. Des facteurs s’interposaient. Le chef de gare accourait. Le train s’éloigna.

— Idiots ! proféra-t-il… Butors ! Tas de brutes ! Vous ne pouviez pas me laisser ? Ah ! je vous jure, Dieu !…

D’un coup de son poing gauche il abattit l’employé. D’un coup de son poing droit il renversa Mazeroux. Et, se débarrassant des facteurs et du chef de gare, il s’élança sur le quai jusqu’à la salle des bagages, où, en quelques bonds, il franchit plusieurs groupes de malles, de caisses et de valises.

— Ah ! la triple buse, mâchonna-t-il, en constatant que Mazeroux avait eu le soin d’éteindre le moteur de l’automobile… Quand il y a une bêtise à faire, il ne la rate pas.

Si don Luis avait conduit sa voiture à belle vitesse dans la journée, ce soir-là ce fut vertigineux. Une véritable trombe traversa les faubourgs du Mans et se précipita sur les grandes routes. Il n’avait qu’une idée, qu’un but, arriver à la prochaine station, qui était Chartres, avant les deux complices, et sauter à la gorge de Sauverand. Il ne voyait que cela, l’étreinte sauvage qui ferait râler entre ses deux mains l’amant de Florence Levasseur.