Page:Leblanc - Les Dents du Tigre, paru dans Le Journal, du 31 août au 30 octobre 1920.djvu/236

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— De sorte que… de sorte que M. Fauville, dans une partie de son œuvre maudite, fut… comment dirais-je ? le complice de son meurtrier. Il tremblait devant la mort… Il se débattait… Mais il s’arrangeait pour que sa mort profitât à sa haine. C’est bien cela, n’est-ce pas ? C’est bien cela ?

— C’est presque cela, monsieur le préfet, vous suivez les étapes mêmes que j’ai parcourues et, comme moi, vous hésitez devant la dernière vérité, devant celle qui donne au drame tout son caractère sinistre et hors de toutes proportions humaines.

Le préfet de police frappa la table des deux poings, en un sursaut de révolte soudaine.

— Absurdité ! s’écria-t-il. Hypothèse stupide ! M. Fauville menacé de mort et combinant la perte de sa femme avec cette persévérance machiavélique… Allons donc ! L’homme qui est venu dans mon cabinet, l’homme que vous avez vu, ne pensait qu’à une chose, à ne pas mourir ! Une seule épouvante l’obsédait, celle de la mort. Ce n’est pas dans ces moments-là que l’on ajuste des mécanismes et que l’on tend des pièges… surtout lorsque ces pièges ne peuvent avoir d’effet que si on meurt assassiné. Voyez-vous M. Fauville travaillant à son horloge, plaçant lui-même des lettres qu’il aurait eu soin, trois mois auparavant, d’écrire à un ami et d’intercepter, arrangeant les événements de façon que sa femme parût coupable, et disant : « Voilà au cas où je serais assassiné, je suis tranquille, c’est Marie-Anne qu’on arrêtera. » Non, avouez-le, on n’a pas de ces précautions macabres. Ou alors… ou alors, c’est qu’on est sûr d’être assassiné. C’est qu’on accepte de l’être. C’est, pour ainsi dire