Page:Leblanc - Les Dents du Tigre, paru dans Le Journal, du 31 août au 30 octobre 1920.djvu/239

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ne le saura probablement jamais. L’un et l’autre sont morts, et leur secret ne revivra pas. Mais nous pouvons tout au moins affirmer, d’abord que l’inspecteur Vérot est venu ici et qu’il en rapporta la tablette de chocolat où, pour la première fois, on vit, imprimées, les dents du tigre, ensuite que l’inspecteur Vérot réussit, par une série de circonstances que nous ne connaîtrons pas, à découvrir les projets de M. Fauville. Et cela, nous le savons, puisque l’inspecteur Vérot l’a dit en propres termes, et avec quelle angoisse ! puisque c’est par lui que nous avons appris que le crime devait avoir lieu la nuit suivante, et puisqu’il avait consigné ses découvertes dans une lettre qui lui fut dérobée. Et cela, l’ingénieur Fauville le savait aussi, puisque, pour se débarrasser de l’ennemi redoutable qui contrecarrait ses desseins, il l’empoisonna ; puisque, le poison tardant à agir, il eut l’audace, sous un déguisement qui lui donnait l’apparence de Gaston Sauverand et qui devait un jour ou l’autre porter les soupçons vers celui-ci, il eut l’audace et la présence d’esprit de suivre l’inspecteur Vérot jusqu’au café du Pont-Neuf, de lui dérober la lettre d’explications que l’inspecteur Vérot vous écrivait, de la remplacer par une feuille de papier blanc, et de demander ensuite à un passant, qui pouvait devenir un témoin contre Sauverand, le chemin du métro conduisant à Neuilly, à Neuilly où demeurait Sauverand ! Voilà l’homme, monsieur le préfet.

Don Luis parlait avec une force croissante, avec l’ardeur que donne la conviction, et son réquisitoire, logique et rigoureux, semblait évoquer la réalité elle-même.

Il répéta :

— Voilà l’homme, monsieur le préfet, voilà le bandit. Et telle était la situation où il se trouvait, telle était la peur que lui inspiraient les révélations possibles de l’inspecteur Vérot, que, avant de mettre à exécution l’acte effroyable qu’il avait projeté, il vint s’assurer à la préfecture de police que sa victime avait bien cessé de vivre et qu’elle n’avait pu le dénoncer. Vous vous rappelez la scène, monsieur le préfet, l’agitation, l’épouvante du personnage : « Protégez-moi, monsieur le préfet… Je suis menacé de mort… Demain, je serai frappé… » Demain, oui, c’est pour le lendemain qu’il implorait votre aide, parce qu’il savait que tout serait fini le