Page:Leblanc - Les Dents du Tigre, paru dans Le Journal, du 31 août au 30 octobre 1920.djvu/366

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— Oui, monsieur le préfet. D’ailleurs, l’homme est soigneusement ligoté. Rien à craindre. Il ne s’évadera pas.

— Allons, dit Valenglay, vous avez tout prévu, et l’aventure me semble bien terminée. Un problème cependant reste obscur, celui peut-être qui a le plus passionné l’opinion. Il s’agit de la marque des dents sur la pomme, des dents du tigre, comme on a dit, et qui étaient celles de Mme Fauville, innocente pourtant. M. le préfet affirme que vous avez résolu ce problème.

— Oui, monsieur le président, et les papiers de Jean Vernocq me donnent raison. Le problème est d’ailleurs très simple. Ce sont bien les dents de Mme Fauville qui ont marqué le fruit, mais ce n’est pas Mme Fauville qui a mordu dans le fruit.

— Oh ! oh !

— Monsieur le président, c’est à peu de chose près, la phrase par laquelle M. Fauville a fait allusion à ce mystère dans sa confession publique.

M. Fauville était un fou.

— Oui, mais un fou lucide, et qui raisonnait avec une logique terrifiante. Il y a quelques années, à Palerme, Mme Fauville est tombée si malencontreusement que sa bouche porta contre le marbre d’une console, et que plusieurs de ses dents, en haut comme en bas, furent ébranlées. Pour réparer le mal, c’est-à-dire pour fabriquer l’attelle d’or destinée à consolider, et que Mme Fauville garda durant plusieurs mois, le dentiste prit, suivant l’habitude, le moulage exact de l’appareil dentaire. C’est ce moulage que M. Fauville avait conservé par hasard et dont il se servit la nuit de sa mort pour imprimer dans la pomme la marque même des dents de sa femme. C’est ce même moulage que l’inspecteur Vérot avait pu dérober un moment et avec lequel, désirant garder une pièce à conviction, il avait marqué la tablette de chocolat.

L’explication de don Luis fut suivie d’un silence. La chose était si simple en effet que le président du conseil en éprouvait un étonnement. Tout le drame, toute l’accusation, tout ce qui avait provoqué le désespoir de Marie-Anne, sa mort, la mort de Gaston Sauverand, tout cela reposait sur un infiniment petit détail auquel n’a-