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turels, de les protéger et de répartir entre eux les deux cents millions qui leur appartiennent. Un point, c’est tout. Est-ce une mission d’honnête homme, cela ?

— Oui, mais…

— Oui, mais si je ne l’accomplis pas en honnête homme, c’est ça que tu veux dire, n’est-ce pas ?

— Patron…

— Eh bien, mon petit, si tu distingues à la loupe la moindre chose qui te déplaise dans ma conduite, si tu découvres un point noir sur la conscience de don Luis Perenna, pas d’hésitation, fiche-moi tes deux mains au collet. Je t’y autorise. Je te l’ordonne. Ça te suffit-il ?

— Il ne suffit pas que ça me suffise, patron.

— Qu’est-ce que tu chantes ?

— Il y a encore les autres.

— Explique.

— Si vous êtes pincé ?

— Comment ?

— Vous pouvez être trahi.

— Par qui ?

— Nos anciens camarades…

— Partis. Je les ai expédiés hors de France.

— Où ça ?

— C’est mon secret. Toi, je t’ai laissé à la préfecture, au cas où j’aurais eu besoin de tes services. Et tu vois que j’ai eu raison.

— Mais si l’on découvre votre véritable personnalité ?

— Eh bien ?

— On vous arrête.

— Impossible.

— Pourquoi ?

— On ne peut pas m’arrêter.

— La raison ?

— Tu l’as dite toi-même, bouffi, une raison supérieure, formidable, irrésistible.

— Laquelle ?

Je suis mort.

Mazeroux parut suffoqué. L’argument le frappait en plein. D’un coup il l’apercevait, dans toute sa vigueur et dans toute sa cocasserie. Et, subitement, il partit d’un éclat de rire fou, qui le tordait en deux et convulsait de la façon la plus drôle son mélancolique visage…

— Ah ! patron, toujours le même !… Dieu, que c’est rigolo !… Si je marche ? Je crois bien que je marche !… Et deux fois plutôt qu’une !… Vous êtes mort ! enterré ! supprimé ! Ah ! quelle rigolade ! quelle rigolade !