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chapitre du légionnaire, sur son séjour au Maroc, ils prirent leur revanche et s’en donnèrent à cœur joie.

Le commandant d’Astrignac avait parlé. D’autres officiers, d’autres compagnons de Perenna relatèrent ce qu’ils avaient vu. On publia les rapports et les ordres du jour qui le concernaient. Et ce que l’on appela « l’Épopée du héros » se constitua en une sorte de livre d’or dont chaque page racontait la plus folle et la plus invraisemblable des prouesses.

Ainsi se forma la légende héroïque de Perenna. Elle mettait en relief l’énergie surhumaine, la témérité prodigieuse, la fantaisie étourdissante, l’esprit d’aventures, l’adresse physique et le sang-froid d’un personnage singulièrement mystérieux qu’il était difficile de ne pas confondre avec Arsène Lupin, mais un Arsène Lupin nouveau, plus grand, ennobli par ses exploits, idéalisé et purifié.

Un matin, quinze jours après le double assassinat du boulevard Suchet, cet homme extraordinaire, qui suscitait une curiosité si ardente, et de qui l’on parlait de tous côtés comme d’un être fabuleux, en quelque sorte irréel, don Luis Perenna, s’habilla et fit le tour de son hôtel.

C’était une confortable et spacieuse construction du xviiie siècle, située à l’entrée du faubourg Saint-Germain, sur la petite place du Palais-Bourbon, et qu’il avait achetée toute meublée à un riche Roumain, le comte Malonesco, gardant pour son usage et pour son service les chevaux, les voitures, les automobiles, les huit domestiques, et conservant même la secrétaire du comte, Mlle Levasseur, qui se chargeait de diriger le personnel, de recevoir et d’éconduire les visiteurs, journalistes, importuns ou marchands de bibelots, attirés par le luxe de la maison et la réputation de son nouveau propriétaire.

Ayant terminé l’inspection des écuries et du garage, il traversa la cour d’honneur, remonta dans son cabinet de travail, entrouvrit une des fenêtres et leva la tête. Au-dessus de lui, il y avait un miroir incliné et ce miroir reflétait, par-dessus la cour et par-dessus le mur qui la fermait, tout un côté de la place du Palais-Bourbon.

— Zut ! dit-il, ces policiers de malheur sont encore là. Et voilà deux semaines que cela dure ! Je commence à en avoir assez, d’une telle surveillance.

De mauvaise humeur, il se mit à parcourir son courrier, déchirant, après les