Aller au contenu

Page:Leblanc - Les Heures de mystère, paru dans Gil Blas, 1892-1896.djvu/10

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

L’INDESTRUCTIBLE ILLUSION


La vie leur était inclémente. Le volume de vers publié par Marescaux, et les maximes philosophiques semées par Chancerel dans les journaux, ne leur avaient pas donné la gloire littéraire. L’amour, ils ne le connaissaient que sous forme de brèves liaisons, nouées sans ardeur et dénouées sans regret. Le plaisir, ils ne s’en souciaient plus.

— Un cœur desséché, une imagination éteinte, des sens indifférents, et la vieillesse qui approche, voilà le bilan actuel, se disaient-ils.

Ce désenchantement commun les rapprochait. Ils dînaient chaque jour ensemble. Et avant de se coucher, ils erraient en couvrant la vie d’invectives amères. De notables différences pourtant distinguaient leurs natures. Marescaux, le poète, était rêvasseur et respectait les vieilles croyances de nos ancêtres. Chancerel, le philosophe, se piquait d’observation et n’acceptait que les choses indiscutables. Mais lorsque leurs opinions se choquaient, ils souriaient d’un air indifférent. À quoi bon ! Pourquoi s’échauffer ! Rien ne vaut la peine d’une dispute.

Un soir, Marescaux dit d’une voix émue :