Page:Leblanc - Les Heures de mystère, paru dans Gil Blas, 1892-1896.djvu/9

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Quelle chose troublante ! toute une partie de notre être et de notre existence est la proie du mystère, mystère des instincts ou mystère des grandes forces extérieures que nous ignorons. C’est dans son domaine que s’élaborent les actes inexplicables, accomplis et dissimulés ensuite inconsciemment. Et ces actes, ils le comprirent, il vaut mieux se les cacher. Ceux qui s’aiment le plus succombent à tout moment et ne sont pas coupables.

Leur orgueil s’effondra. L’avortement de leur beau rêve les brisait. Ils avaient des yeux humbles et blessés. Ils étaient si faibles qu’ils eurent besoin l’un de l’autre. Leurs mains se serrèrent.

Pardon réciproque, pardon des ruses passées et futures. Ils se soutiendraient. Ils seraient indulgents aux faux pas inévitables, miséricordieux aux chutes possibles. Ils remercieraient le hasard qui du moins les avait doués d’âmes généreuses.

Et c’est à lui qu’ils s’en remettraient pour la pâture quotidienne des joies et des chagrins, lui, le grand semeur aveugle qui jette pêle-mêle, à l’aventure, sans souci de leurs destinées ni de leurs combinaisons fortuites, les tendances, les envies, les désirs, les perversités, les noblesses.

… Le vent mystérieux avait passé, leur laissant un peu de science.

Alors Pierre prit Jeanne dans ses bras et lui dit :

— Je t’aime, Jeanne, plus qu’avant. Mais il ne faut plus nous interroger, vois-tu. Nous serons honnêtes comme nous le pourrons. Nous serons sincères comme nous le pourrons. L’essentiel n’est pas de réaliser — car cela ne dépend pas toujours de nous — c’est de vouloir. Que notre volonté soit bonne.

Maurice Leblanc.