Page:Leblanc - Les Heures de mystère, paru dans Gil Blas, 1892-1896.djvu/144

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Elles succomberaient, il le fallait, elles succomberaient parce qu’elles s’étaient rencontrées. Honnêtes, séparément, elles ne pouvaient plus l’être, ensemble. Aussitôt leur franchise se transformait en dissimulation, leurs scrupules s’endormaient, leur conscience capitulait. La voix de l’une, son approche, son parfum, donnaient à l’autre une fièvre d’adultère. Elles s’empoisonnaient mutuellement.

Certes des motifs puissants et compréhensibles provoquaient en partie ce phénomène, tels qu’une sorte de rivalité dans le mal, une honte à s’avouer novices et sages, beaucoup de forfanterie, un peu de curiosité peut-être. Mais la raison primordiale, essentielle, obscure quoique seule capable de déterminer une décomposition si profonde et si foudroyante, résidait dans l’intimité de ces deux femmes irréprochables. Le simple fait de s’asseoir sur des chaises voisines ou de se promener côte à côte, tout en échangeant des phrases quelconques, les corrompait aussi sûrement que la fréquentation assidue de créatures dépravées. Leur contact dégageait une atmosphère amollissante, malsaine, désastreuse, où elles perdaient toute énergie et toute faculté de résistance. Le choc de leurs vertus produisait du vice.

L’incident du goûter se renouvela. On eut des rendez-vous. On se cacha dans les salons particuliers des grands restaurants. Ces dames, réservées d’abord, s’adoucirent. Elles accordèrent aux lèvres gourmandes des jeunes gens leurs doigts, puis leurs bras, puis leurs épaules, puis leurs bouches. Un peu grises parfois, elles ne repoussaient point les caresses et se sentaient lâches, presque avides de l’étreinte brutale.