Page:Leblanc - Les Heures de mystère, paru dans Gil Blas, 1892-1896.djvu/161

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» Avec quelle joie et quelle gratitude elle parle de lui, de celui dont elle n’ose pas transcrire le nom ! « Ô toi qui m’as rendue mère, tu es l’unique aimé, dit-elle. Notre amour s’est éternisé, est visible en cette chair d’enfant qui est la tienne, en ces yeux où j’embrasse tes yeux, en ces petites mains dont la caresse tremblante m’est aussi douce que l’étreinte fiévreuse de tes bras. »

» Elle lui promet fidélité : « Je maudis toutes mes erreurs passées, j’ai honte de mes souillures, je renie les fausses amours où mon cœur s’est complu. Je n’aime que toi, et pas un autre désormais n’aura mes lèvres que toi. »

» Et elle tint parole.

» Quel est cet être ? Quel sang coule en mes veines ? Ne pas savoir qui vous engendra, de qui l’on reçut le legs mystérieux des instincts, des tendances, bonnes ou mauvaises, de la pensée !

» J’ai cherché. Ses amants, je les ai revus. Quelle angoisse en leur présence ! À l’un d’eux mon approche n’a causé nul trouble. Les autres, au contraire, se sont attendris. Ils retrouvaient en moi un peu d’elle. Et moi, je sentais qu’ils évoquaient l’ignominieux passé, les rendez-vous furtifs, l’affolement des voluptés conquises ensemble. Comme je les détestais !

» Mais lui, lui, qui est-il ? Se cache-t-il parmi la foule des indifférents qui m’entourent ? A-t-il surveillé les progrès de l’enfant, la croissance de l’adolescent, l’éclosion de l’homme ? Se souvient-il de moi ? Suis-je le fils que l’on aime et que l’on regrette désespérément ?