Page:Leblanc - Les Heures de mystère, paru dans Gil Blas, 1892-1896.djvu/76

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… Celui dont les mains tiennent l’arme fatale, sait que l’instant est arrivé. Il a choisi son heure. Il est libre. Il est maître de son sort. Le suis-je, moi ? Sais-je à quelle heure le hasard me condamnera ?

Quelle angoisse ! Au plus fort de mes ivresses l’idée m’étreint : c’est peut-être la minute solennelle. La barque frêle où je m’étends, la tête sur des genoux de femme, sous les yeux des étoiles, ne vais-je pas la démolir à coups de bottes ? La roche où je rêve parmi l’entassement des montagnes, ne sera-ce pas de là que je m’élancerai vers l’abîme ?

Doute implacable ! poison de mes bonheurs ! La coupe où je bois la vie est pleine de liqueurs exquises, mais elle est faite d’un métal amer qui souille mes lèvres tandis que mon gosier se délecte à la douceur des breuvages.

… Ô femme, toi dont l’amour aujourd’hui céda noblement à mon amour, courbé sur ton visage las, mes yeux reconnaissants mêlés à tes yeux amoureux, j’ai pensé ceci : « Ne serait-ce pas toi, l’instrument du suicide inévitable ? Ne vais-je pas tenter d’épuiser ma force par l’excès de tes caresses, jusqu’à ce que ton corps soit le tombeau de mon corps ? »

… Cette nuit, ma sœur s’est pendue. Jamais nous n’avions causé de cela. J’ignorais qu’elle sût. Mais voilà, elle savait, et il a bien fallu qu’elle se tuât. Cette nuit ma sœur s’est pendue.