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Page:Leblanc - Les Huit Coups de l’horloge, paru dans Excelsior, 1922-1923.djvu/12

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La lutte était finie. Le comte sentit qu’il n’y avait plus qu’une petite formalité à remplir, un sacrifice à accepter et, reprenant un peu d’assurance, il dit avec une certaine ironie :

— Combien ?

Rénine se mit à rire.

— Parfait. Vous comprenez la situation. Seulement, vous vous trompez en me mettant en cause. Moi, je travaille pour la gloire.

— En ce cas ?…

— Il s’agit tout au plus d’une restitution.

— Une restitution ?

Rénine se pencha sur le bureau et dit :

— Il y a là, dans un de ces tiroirs, un acte qui a été soumis à votre signature. C’est un projet de transaction entre vous et votre nièce, Hortense Daniel, relativement à sa fortune, fortune qui a été dissipée et dont vous êtes responsable. Signez cette transaction.

M. d’Aigleroche eut un haut-le-corps.

— Vous savez quelle est la somme ?

— Je ne veux pas le savoir.

— Et si je refuse ?

— Je demande une entrevue à la comtesse d’Aigleroche.

Sans plus d’hésitation, le comte ouvrit son tiroir, en sortit un document sur papier timbré, et vivement signa.

— Voici, dit-il, et j’espère…

— Vous espérez comme moi qu’il n’y aura plus rien de commun entre nous ? J’en suis persuadé. Je pars ce soir, votre nièce demain, sans doute. Adieu, monsieur.

Dans le salon, où aucun des invités n’était encore descendu, Rénine remit l’acte à Hortense. Elle paraissait stupéfaite de tout ce qu’elle avait entendu, et quelque chose la confondait plus encore que cette lumière implacable projetée sur le passé de son oncle, c’était la clairvoyance prodigieuse et l’extraordinaire lucidité de l’homme qui, depuis quelques heures, commandait aux événements et faisait surgir, devant ses yeux, les tableaux mêmes du drame auquel nul n’avait assisté.

— Êtes-vous contente de moi ? demanda-t-il.

Elle lui tendit les deux mains.

— Vous m’avez sauvée de Rossigny. Vous m’avez donné la liberté et l’indépendance. Je vous remercie du fond du cœur.

— Oh ! ce n’est pas cela que je vous demande, dit-il. Ce que j’ai voulu d’abord, c’est vous distraire. Votre vie était monotone et manquait d’imprévu. En fut-il de même aujourd’hui ?

— Comment pouvez-vous poser une telle question ? J’ai vécu les minutes les plus fortes et les plus étranges.

— C’est cela, la vie, dit-il, quand on sait regarder et rechercher. L’aventure est partout, au fond de la chaumière la plus misérable, sous le masque de l’homme le plus sage. Partout, si on le veut, il y a prétexte à s’émouvoir, à faire le bien, à sauver une victime, à mettre fin à une injustice.

Elle murmura, frappée par ce qu’il y avait en lui de puissance et d’autorité :

— Qui donc êtes vous ?

— Un aventurier, pas autre chose. Un amateur d’aventures. La vie ne vaut d’être vécue qu’aux heures d’aventures, aventures des autres ou aventures personnelles. Celle d’aujourd’hui vous a bouleversée parce qu’elle touchait au plus profond de votre être. Mais celles des autres ne sont pas moins passionnantes. Voulez-vous en faire l’épreuve ?

— Comment ?

— Soyez ma compagne d’aventures. Si quelqu’un m’appelle au secours, secourez-le avec moi. Si le hasard ou si mon instinct me met sur la piste d’un crime ou sur la trace d’une douleur, partons tous deux de compagnie. Voulez-vous ?

— Oui, fit-elle. Mais…

Elle hésita. Elle cherchait le projet secret de Rénine.

— Mais, acheva-t-il en souriant, vous vous méfiez un peu : « Où donc cet amateur d’aventures veut-il m’entraîner ? Il est évident que je lui plais et qu’un jour ou l’autre il ne serait pas fâché de toucher ses honoraires. » Vous avez raison. Il faut entre nous un contrat précis.

— Très précis, dit Hortense, qui préférait mettre la conversation sur le ton de la plaisanterie. J’écoute vos propositions.

Il réfléchit un instant et continua :

— Eh bien ! voilà. Aujourd’hui, jour de la première aventure, l’horloge de Halingre a sonné huit coups. Voulez-vous que nous acceptions l’arrêt qu’elle a rendu, et que sept fois encore, dans un délai de trois mois, par exemple, nous poursuivions ensemble de belles entreprises ? Et voulez-vous qu’à la huitième fois, vous soyez tenue de m’accorder ?…

— Quoi ?

Il suspendit sa réponse.

— Notez que vous serez toujours libre de m’abandonner en cours de route, si je ne