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— J’ai publié ce matin dans tous les journaux une annonce ainsi conçue : « Excellente cuisinière demande place. Écrire avant cinq heures soir à Herminie, boulevard Haussmann… » etc. Vous comprenez toujours, n’est-ce pas, monsieur le Gouverneur ? Les prénoms commençant par un H et composés de huit lettres sont extrêmement rares et tous un peu démodés, Herminie, Hilairie, Herbette… Or, ces prénoms-là, pour des motifs que j’ignore, sont indispensables à la folle. Elle ne peut s’en passer. Pour trouver des femmes qui portent un de ces prénoms, et seulement pour cela, elle ramasse tout ce qui lui reste de raison, de discernement, de réflexion, d’intelligence. Elle cherche. Elle interroge. Elle est à l’affût. Elle lit les journaux qu’elle ne comprend guère, mais où ses yeux s’accrochent à certains détails, à certaines majuscules. Et, par conséquent, je n’ai pas douté une seconde que ce nom d’Herminie, imprimé en gros caractères, n’attirât son regard et que, dès aujourd’hui, elle ne se prît au piège de mon annonce…

— Elle a écrit ? demanda M. de Lourtier-Vaneau anxieusement.

— Pour faire leurs propositions à la soi-disant Herminie, continua Rénine, plusieurs dames ont écrit les lettres habituelles en pareil cas. Mais j’ai reçu un pneumatique qui m’a semblé de quelque intérêt.

— De qui ?

— Lisez, monsieur le gouverneur.

M. de Lourtier-Vaneau arracha la feuille des mains de Rénine et jeta un coup d’œil sur la signature. Il eut d’abord un geste d’étonnement, comme s’il se fût attendu à autre chose. Puis il partit d’un long éclat de rire, où il y avait comme de la joie et de la délivrance.

— Pourquoi riez-vous, monsieur le gouverneur ? Vous avez l’air content.

— Content, non. Mais cette lettre est signée de ma femme.

— Et vous aviez craint autre chose ?

— Oh ! non, mais du moment que c’est ma femme…

Il n’acheva pas sa phrase et dit à Rénine :

— Pardon, monsieur, mais vous m’avez dit avoir reçu plusieurs réponses. Pourquoi, entre toutes ces réponses, avez-vous pensé que précisément celle-ci pouvait vous fournir quelque indice ?

— Parce qu’elle porte comme signature : Mme de Lourtier-Vaneau, et que Mme de Lourtier-Vaneau avait employé comme couturière l’une des victimes, Honorine Vernisset.

— Qui vous a dit cela ?

— Les journaux de l’époque.

— Et votre choix ne fut déterminé par aucune autre cause ?

— Aucune. Mais j’ai l’impression, depuis que je suis ici, monsieur le gouverneur, que je ne me suis pas trompé de chemin.

— Pourquoi cette impression ?

— Je ne sais pas trop… Certains signes… Certains détails… Puis-je voir Mme de Lourtier, monsieur ?

— J’allais vous le proposer, monsieur, fit M. de Lourtier. Veuillez me suivre.

Il le conduisit, par un couloir, jusqu’à un petit salon où une dame à cheveux blonds et au beau visage heureux et doux était assise entre trois enfants qu’elle faisait travailler.

Elle se leva. M. de Lourtier fit brièvement les présentations et dit à sa femme :

— Suzanne, c’est de toi, ce pneumatique ?

— Adressé à Mlle Herminie, boulevard Haussmann ? dit-elle. Oui, c’est de moi. Tu sais bien que notre femme de chambre s’en va et que je m’occupe de chercher quelqu’un.

Rénine l’interrompit :

— Excusez-moi, madame, un mot seulement. D’où vous venait l’adresse de cette femme ?

Elle rougit. Son mari insista :

— Réponds, Suzanne. Qui t’a donné cette adresse ?

— On m’a téléphoné.

— Qui ?

Après une hésitation, elle prononça :

— Ta vieille nourrice…

— Félicienne ?…

— Oui.

M. de Lourtier coupa court à la conversation, et, sans permettre à Rénine de poser d’autres questions, il le reconduisit dans son bureau.

— Vous voyez, monsieur, ce pneumatique a une provenance toute naturelle. Félicienne, ma vieille nourrice, à qui je fais une pension, et qui habite dans les environs de Paris, a lu votre annonce, et c’est elle qui a prévenu Mme de Lourtier. Car enfin, ajouta-t-il, en s’efforçant de rire, je ne suppose pas que vous soupçonniez ma femme d’être la Dame à la Hache ?

— Non.

— Alors l’incident est clos… du moins de mon côté… J’ai fait ce que j’ai pu… j’ai suivi vos raisonnements, et je regrette vivement de ne pouvoir vous être plus utile…