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Page:Leblanc - Les Huit Coups de l’horloge, paru dans Excelsior, 1922-1923.djvu/9

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Son flirt avec lui, son escapade, ses projets, elle avait tout oublié. Rossigny lui semblait beaucoup plus étranger à sa vie que ce déconcertant Rénine qui lui inspirait, quelques heures auparavant, si peu de sympathie.

Rénine vint frapper à sa porte.

— Votre oncle est dans sa bibliothèque, dit-il. Voulez-vous m’accompagner ? Je l’ai prévenu de ma visite.

Elle le suivit.

Il ajouta :

— Un mot encore. Ce matin, en contrariant vos projets et en vous suppliant de vous confier à moi, j’ai pris par là même, à votre égard, un engagement dont je ne veux pas tarder à m’acquitter, vous allez en avoir la preuve formelle.

— Vous n’avez pris qu’un engagement, dit-elle en riant, celui de satisfaire ma curiosité.

— Elle sera satisfaite, affirma-t-il avec gravité, et bien au-delà de tout ce que vous pouvez concevoir, si M. d’Aigleroche confirme mes raisonnements.

M. d’Aigleroche était seul, en effet. Il fumait sa pipe et buvait du sherry. Il en offrit un verre à Rénine qui refusa.

— Et toi, Hortense, fit-il, la voix un peu pâteuse. Tu sais qu’ici on ne s’amuse guère que durant ces journées de septembre. Profites-en. Tu as fait une bonne promenade avec Rénine ?

— C’est à ce sujet précisément que je voudrais vous parler, cher monsieur, interrompit le prince.

— Vous m’excuserez, mais dans dix minutes je dois aller à la gare chercher une amie de ma femme.

— Oh ! dix minutes me suffisent amplement.

— Juste le temps de fumer une cigarette, alors ?

— Pas davantage.

Il prit une cigarette dans la boîte que lui offrait M. d’Aigleroche, l’alluma et lui dit :

— Figurez-vous que le hasard de cette promenade nous a conduits jusqu’à un vieux domaine que vous connaissez évidemment, le domaine de Halingre ?

— Certes. Mais il est fermé, barricadé depuis un quart de siècle, je crois. Vous n’avez pas pu entrer ?

— Si.

— Allons donc ! Visite intéressante ?

— Extrêmement. Nous avons découvert les choses les plus étranges.

— Quelles choses ? demanda le comte qui regardait sa montre.

Rénine raconta :

— Des pièces barricadées, un salon qu’on avait laissé dans son ordre de vie quotidienne, une pendule qui, par miracle, sonna notre arrivée…

— De bien petits détails, murmura M. d’Aigleroche.

— Il y a mieux, en effet. Nous sommes montés au haut du belvédère, et, de là, nous avons vu, sur une tour, assez loin du château… nous avons vu deux cadavres, deux squelettes plutôt… un homme et une femme que recouvrent encore les vêtements qu’ils portaient quand ils ont été assassinés…

— Oh ! oh ! assassinés ? simple supposition…

— Certitude ; et c’est à ce propos que nous sommes venus vous importuner. Ce drame, qui justement doit remonter à une vingtaine d’années, n’a-t-il pas été connu à cette époque ?

— Ma foi, non, déclara le comte d’Aigleroche, je n’ai jamais entendu parler d’aucun crime, d’aucune disparition.

— Ah ! fit Rénine, qui sembla un peu décontenancé, j’espérais avoir quelques renseignements…

— Je regrette.

— En ce cas, excusez-moi.

Il consulta Hortense du regard et marcha vers la porte. Mais, se ravisant :

— Vous ne pourriez pas tout au moins, cher monsieur, me mettre en rapport avec des personnes de votre entourage, de votre famille… qui, elles, seraient au courant ?

— De ma famille ? et pourquoi ?

— Parce que le domaine de Halingre appartenait, appartient encore sans doute, aux d’Aigleroche. Les armoiries montrent un aigle sur un bloc de pierre… sur une roche. Et tout de suite le rapport s’est imposé à moi.

Cette fois, le comte parut surpris. Il repoussa sa bouteille et son verre et dit :

— Que m’apprenez-vous ? J’ignorais ce voisinage.

Rénine hocha la tête en souriant :

— Je serais plutôt disposé à croire, cher monsieur, que vous n’êtes pas très pressé d’admettre un degré de parenté quelconque entre vous… et ce propriétaire inconnu.

— C’est donc un homme peu recommandable ?

— C’est un homme qui a tué, tout simplement.

— Que dites-vous ?

Le comte s’était levé. Hortense, très émue, articula :

— Êtes-vous sûr vraiment qu’il y ait eu crime et que ce crime ait été commis par quelqu’un du château ?

— Tout à fait sûr.

— Mais pourquoi cette certitude ?

— Parce que je sais qui furent les deux victimes et la cause du meurtre.

Le prince Rénine ne procédait que par affirmations, et on eût cru, à l’entendre, qu’il s’appuyait sur les preuves les plus solides.