Page:Leblanc - Les Lèvres jointes, paru dans Le Journal et La Lanterne, 1897-1901.djvu/37

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Quelles ivresses ! Quels délires ! Pensez au nombre d’êtres qui ont exhalé leur âme entre mes lèvres, pensez à toutes ces vies différentes dont je me suis enrichi par le baiser ! Mon bonheur est comme une source faite de milliers de gouttes, toutes diverses en couleur, en forme, en parfum. L’humanité, pour moi, est un immense champ de fleurs que je cueille à ma guise et que je respire…

Mais il n’eut point la bouche de la jeune femme.

— Je ne vous la refuse pas par coquetterie, disait-elle, je ne suis pas coquette, ni par pudeur, car je l’ai donnée à bien des hommes déjà ; en outre, elle n’appartient à personne, et elle n’aurait aucune répugnance à vous appartenir… Cependant… cependant… vous ne l’aurez jamais.

Il ne l’eut pas. Il en fit le siège savant et obstiné. Il se consacra uniquement à cette conquête. Cette bouche fut la seule bouche, et il lui semblait qu’il eût donné toutes les bouches qu’il avait baisées pour baiser celle qui se refusait. Mais ses prières demeuraient vaines.