Page:Leblanc - Les Lèvres jointes, paru dans Le Journal et La Lanterne, 1897-1901.djvu/40

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Elle eut un soubresaut d’agonie. Il se pencha :

— Donne-moi ta bouche.

— Non, non, fit-elle avec ses paupières convulsées.

Un instant s’écoula. Puis elle murmura, par petits souffles douloureux :

— Je ne te l’ai pas donnée… parce que tu ne m’as demandé qu’elle… Oh ! la première fois que tu m’as dit : « Je ne veux que votre bouche, je ne désire que votre bouche… » j’ai senti comme une insulte… Pourquoi rien que ma bouche ? pourquoi pas tout mon corps ? n’est-il pas digne d’amour et de désir ? Je me suis offerte à toi… tu n’as rien vu… tu n’as rien admiré en moi… Ma poitrine est belle, cependant… mes jambes sont belles… ma chair est blanche… Et toutes les femmes ont aussi de jolies choses, des bras… des seins… des yeux… des cheveux… des trésors innombrables devant lesquels il faut s’agenouiller… Toi, tu nous méprises puisque tu n’aimes que notre bouche, puisque tu ne nous aimes pas tout entières… C’est un crime… Je t’ai puni… je t’ai puni pour moi… pour toutes les femmes…

Il regardait, il regardait éperdument la bouche expirante, la bouche qui disait ces paroles suprêmes et qui n’en prononcerait plus. Et son désir s’exaspérait. Et soudain, il se jeta sur elle pour la prendre enfin, pour la baiser. Mais ce qu’il baisa, ce fut la bouche de la mort.