Page:Leblanc - Les Lèvres jointes, paru dans Le Journal et La Lanterne, 1897-1901.djvu/5

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Au cours de la saison, plusieurs fois, j’entendis parler de cette mystérieuse personne. Les uns la disaient jolie, les autres insignifiante, ou vieille, ou disgracieuse. Mais tous les détails confirmaient la légende de sa faction quotidienne dans les allées monotones d’un jardin de province.

Ne la connaissant pas, je ne m’y intéressais guère. Cependant, la veille de mon départ, errant à cheval au travers des forêts, j’avisai tout à coup les clochers et les tours de Domfront, et j’eus alors — seulement alors, j’en suis sûr — la curiosité, assez naturelle, il me semble, de voir celle qui attendait de la sorte, depuis dix ans.

Néanmoins, pourquoi ne suis-je pas entré dans la ville par la route ordinaire ? Domfront, l’étrange cité féodale, termine un plateau qui s’avance entre deux vallées comme la proue d’un navire entre deux vagues profondes. Pourquoi suis-je descendu dans l’une de ces vallées ? Pourquoi ai-je contourné la ville, au bas des remparts, au bas des assises colossales qui la portent ?

Je suivis la rivière. Une chapelle s’y mire. Et c’est là, oui, c’est là que l’idée, la mauvaise idée m’assaillit. Fut-elle si mauvaise ? Elle ne me le parut point, en vérité. Il n’y eut pas que la perspective d’un divertissement, d’une plaisanterie… odieuse. Il y eut aussi, je l’affirme, et ma conscience devrait emprunter à cette certitude de quoi combattre mes remords, il y eut surtout la volonté de faire du bien, de créer de la joie et de l’allégresse.

C’est cette volonté qui nous transporte souvent au delà des bornes de la sagesse, c’est elle qui m’a jeté comme un fou dans cette aventure. Comme un fou, je donnai de l’éperon. Comme un fou, je me mis à galoper le long des peupliers et des saules. Les fers du cheval