Page:Leblanc - Les Lèvres jointes, paru dans Le Journal et La Lanterne, 1897-1901.djvu/80

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Pierre la regarda des pieds à la tête. Une dernière fois, il imagina, sous le voile des vêtements, ce corps dont la splendeur devinée hantait ses nuits. Il allait enfin le connaitre, le toucher et le caresser.

Elle s’avança, les lèvres offertes. Mais il la repoussa doucement. Il voulait la voir nue tout entière, d’abord, afin que leur premier baiser ne se limitât pas au contact de leurs bouches. Et, soudain, dans le silence sacré, il porta les mains sur elle comme un maître craintif et impatient.

Ses doigts tremblants ouvrirent peu à peu le corsage, et puis écartèrent les batistes. Et, peu à peu, de la chair apparaissait, ainsi qu’une source de blancheur. Et ce fut l’éclosion admirable de la gorge, et ce fut la taille souple et les hanches nobles. Et ce fut tout le jaillissement du corps.

Dans son ivresse, Pierre eut la vision rapide de quelque chose de merveilleux, en dehors de toute conception humaine, et, un instant, il joignit les mains, sentit ses genoux fléchir et balbutia des mots d’extase. Mais la folie du désir éteignit sa pensée et troubla ses yeux, et il la prit dans ses bras.

Ils gardèrent de cette nuit le souvenir apparent d’une grande joie. Et, cependant, le mal qui les devait tourmenter si fort fut en germe dans ces heures et, comme ils le comprirent plus tard, surgit dès le premier geste de leur amour. Le lendemain même, malgré l’exaltation de leurs paroles, ils sentirent distinctement, au plus secret de leur âme,