Page:Leblanc - Les Milliards d'Arsène Lupin, paru dans L'Auto, 1939.djvu/9

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Le « Sauvage » poussa un profond gémissement d’angoisse et de douleur. Il semblait qu’on lui arrachait la vie. Ses bras se détendirent. Il bascula par terre comme un pantin désarticulé.

Le mystérieux sauveur de Patricia aida celle-ci à se relever. Debout contre lui, encore haletante et frémissante, elle murmura :

« Prenez garde ! cet homme est très dangereux.

— Vous le connaissez ?

— Je ne sais pas son nom. Je ne l’avais jamais vu. Mais il me poursuit, j’ai peur de lui !

— Quand vous serez en péril, appelez-moi. Si je suis à portée de vous entendre je vous défendrai. Tenez, laissez-moi vous offrir ce petit sifflet d’argent, c’est un sifflet enchanté, on l’entend à travers l’étendue… En cas de danger, sifflez sans relâche. Je viendrai… Et sans relâche méfiez-vous du Sauvage. C’est le pire des bandits. Mon devoir serait de le livrer immédiatement à la justice. Mais on néglige ces sortes de devoirs… et bien à tort ! »

Il inclina sa haute taille souple et, avec un sourire mondain sur son visage fin, baisa la main de Patricia avec une courtoise galanterie.

« Est-ce que vraiment vous seriez Arsène Lupin ? chuchota-t-elle, essayant de bien voir ses traits.

— Que vous importe ! Vous ne voulez pas accepter sa protection ?

— Oh si ! mais j’aimerais savoir…

— Curiosité inutile. »

Sans insister, elle retourna dans le bureau du directeur de Allo-Police et s’excusa de sa longue absence ; elle avait eu un malaise.

« Maintenant fini, n’est-ce pas ? demanda avec sollicitude Mac Allermy. Oui, je vois que les couleurs vous reviennent. »

Et il ajouta sur un autre ton :

« Nous allons pouvoir parler un peu. J’ai des choses très sérieuses à vous dire ! »

Devant ce rappel à l’ordre tout amical, Patricia, secouant son trouble, redevint lucide et calme ; elle s’assit dans le fauteuil que Mac Allermy lui offrait et le regarda, attendant la suite. Il reprit après un petit silence :

« Patricia, depuis votre entrée dans la maison, il y a une dizaine d’années, vous avez passé par tous les services subalternes. Savez-vous pourquoi je vous ai choisie, voici maintenant cinq ans, comme secrétaire de la direction ?

— Sans doute parce que vous m’en jugiez digne, Monsieur.

— Évidemment, mais vous n’étiez pas la seule. Il y a d’autres raisons.

— Puis-je vous demander lesquelles ?

— D’abord, vous êtes belle. Et j’aime la beauté. Ne vous offusquez pas si je parle ainsi devant mon ami Fildes. Je n’ai pas de secret pour lui. D’autre part, il y a eu un drame dans votre vie, un drame que j’ai suivi de près. Mon fils, Henri, a profité de votre situation et s’est insinué auprès de vous. Vous étiez très jeune, isolée dans la vie. Il vous a promis le mariage. Vous n’avez pas su résister, il vous a séduite. Après quoi il vous a abandonnée, se croyant quitte envers vous par l’offre d’une somme d’argent, que vous avez refusée d’ailleurs. Et il a épousé une jeune fille riche, ayant de puissantes relations. »

Patricia, toute rougissante, cachant son visage dans ses mains, balbutia :

« Ne continuez pas, monsieur Allermy. Je suis si honteuse de ma faute ! J’aurais dû me tuer…

— Vous tuer, parce qu’un jeune misérable s’était joué de vous !

— Ne parlez pas ainsi de votre fils, je vous en prie…

— Vous l’aimez encore ?

— Non. Mais j’ai pardonné. »

Allermy eut un mouvement violent.

« Moi, je n’ai pas pardonné. La faute in-