Page:Leblanc - Une femme, 1893.djvu/104

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Elle marchait, agile, heureuse, sans but, évitant de se demander ce qu’elle désirait. Souvent elle se retournait à moitié, et distinguait à quelques mètres d’elle le pardessus noisette de Richard. Mais soudain, en face du Palais de Justice, la foule, le bruit la gênant, elle se jeta dans une rue transversale, et se mit à considérer des photographies, à l’étalage d’un opticien. L’espérance mal définie qui la retenait fut trompée ; Richard ne l’aborda pas.

Elle repartit, déconfite, longea la cathédrale, l’archevêché, aboutit à Saint-Maclou. L’église était vide, propice. Elle s’agenouilla et ses lèvres dirent une prière. Des pas retentirent. Lucie se leva, palpitante, la physionomie digne déjà. Un mendiant lui tendait la main. Elle s’enfuit, repêcha le commis voyageur sur le parvis et le remorqua dans le faubourg Martinville.

Longtemps ainsi ils errèrent, respectueusement distants l’un de l’autre. Elle ne s’expliquait pas cette réserve, inadmissible en ce quartier misérable où elle ne pouvait être reconnue. Au Pré Thuileau, elle fit une troisième halte pareillement inutile. Il n’osait pas. Le souvenir de l’ombrelle cassée le paralysait. Il craignait quelque bévue de ce genre et de paraître maladroit ou grossier aux yeux de cette femme qu’il sentait à un niveau supérieur au sien et différente de toutes ses maîtresses.