Page:Leblanc - Une femme, 1893.djvu/161

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— C’est le seul homme que j’aie aimé, je l’ai adoré.

Et avec beaucoup de tristesse :

— Si je n’avais eu le malheur de le rencontrer, mon existence n’eût pas été la même. Je restais une honnête femme. Maintenant, que voulez-vous ? J’essaye de m’étourdir.

Elle dessina, par une élévation de son bras droit compliquée d’un haussement d’épaules, un geste de résignation suprême. La destinée l’accablait. Elle eut si fortement conscience de la pitié que devaient éveiller la prostration de son attitude et la misère de sa vie, qu’elle se plaignit elle-même. Ses larmes jaillirent. Et elle maudit, de toute son âme en révolte contre le mal, l’homme néfaste dont l’influence l’avait dévoyée.

Souvent encore elle fit allusion à son premier amant. Elle raconta l’histoire de leur passion, leurs imprudences, leurs exploits, leurs petites querelles, elle décrivit son caractère, sa jalousie, ses habitudes — en sorte que M. Bouju-Gavart put se former sur M. le comte de Saint-Leu une idée très complète et indestructible.

À la suite de l’entretien surpris au café, parrain établit une enquête dont le résultat fut ainsi formulé :

— Ma chère Lucie, on a des soupçons à Rouen. Personne n’est certain, personne ne