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Page:Leblanc - Une femme, 1893.djvu/222

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Son supplice commençait. Elle l’analysa et fut tout étonnée, presque contrariée de ne rien surprendre d’anormal en elle. Elle s’attendait à quelque phénomène bizarre, à une représentation pour ainsi dire visible de son mal. Elle constata néanmoins un grand vide. Quel abîme ! pensa-t-elle. Comment le remplir ?

Elle relut le billet. Ses lèvres épelèrent des phrases : «… la jalousie me brûle… m’imaginer que d’autres bras t’enlacent… je rêve une vie commune, toute d’intimité… » Soudain elle tressaillit. Une idée la heurtait. Cette lettre n’était-elle pas une prière, un appel suppliant et voilé à son cœur fidèle ? Il n’avait pas osé lui proposer la fuite, mais il la désirait…

Elle comprit. Son devoir lui dictait d’obéir, même au prix de l’honneur. Elle ne transigerait pas avec un tel devoir. Et elle songea à la joie de l’amant quand surgirait la maîtresse tant convoitée ?

La difficulté de le rejoindre l’embarrassa peu. Le chemin de fer la mènerait à quelque station riveraine, Pont-de-l’Arche, Vernon, Mantes, où passerait inévitablement la Nevada.

Elle partit, franchit l’octroi, gagna la gare de Saint-Sever, s’y munit d’un indicateur et le feuilleta en marchant. Un train venait d’arriver. Par la rue de Seine des voyageurs débouchèrent.