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Page:Leblanc - Une femme, 1893.djvu/223

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Cent pas après, Lucie s’aperçut que l’un d’eux la suivait.

Cette distraction, celle peut-être qui agissait sur elle avec le plus d’efficacité, se produisait au bon moment. Rien ne la ravissait comme ces courses à travers la ville, ces sortes de chasses palpitantes, de rue en rue, d’église en magasin, cette lutte insidieuse entre deux êtres qui ne savent rien l’un de l’autre, cet hommage brutal d’un individu qui vous demande le secret de votre chair.

Elle se lança vers les places de la Basse et de la Haute-vieille-Tour, puis choisit les artères principales, les rues de la République, de l’Hôpital, de la Grosse-Horloge, toujours flanquée de son inconnu.

Enfin, rue Racine, comme il se lamentait derrière elle, d’un ton comique, sur la durée excessive de ces pérégrinations, elle pouffa de rire :

— De quoi vous plaignez-vous ? Je n’ai pas imploré votre escorte.

— Est-ce très loin ?

— Non, dit-elle, moqueuse, là en face, aux bains, je vous repêcherai à la porte.

Puis, réfléchissant qu’elle ne l’avait pas encore vu, elle tourna la tête. Il était fort bien, âgé d’une quarantaine d’années, possesseur d’une barbe majestueuse aux reflets roux, coiffé d’un chapeau de feutre fendu au milieu, l’air d’un