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Page:Leblanc - Une femme, 1893.djvu/274

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— Ce qu’il y a de désespérant, à Rouen, c’est le manque de modèle. Pas un corps qui se tienne, pas un coin d’épaule, pas le moindre galbe.

Et désignant une étude :

— Ainsi j’ai bâclé là une femme qui se poudre le cou, en costume de bal… eh bien, c’est pas ça, la ligne n’y est pas.

Mme Chalmin sourit :

— Voulez-vous que je vous la donne, moi, la ligne ?

Elle défit deux ou trois boutons de sa robe, rentra l’étoffe et découvrit sa nuque. Il s’écria :

— Nom d’un chien ! voilà, ça y est. Attendez.

Il saisit un album et un crayon.

Il avait une trentaine d’années, une physionomie intelligente, l’apparence frêle d’un blond chlorotique, et un habillement de velours. Enthousiaste fervent de son art, il manquait de savoir et aussi de goût, conséquence de son éducation exclusivement provinciale.

Il commanda, absorbé par son dessin :

— Enlevez donc votre corsage, la ligne est interrompue.

Elle obéit. Il acheva son esquisse et remercia Mme Chalmin.

— Cette fois je suis sûr de moi. Vous avez là une courbe d’épaule et une attache de bras superbes, c’est une bonne fortune pour moi.