Page:Leblanc - Une femme, 1893.djvu/276

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chevaux et des clowns, un monsieur ne la quitta pas des yeux. Il était de haute stature et doué d’un torse d’hercule. Des moustaches et des favoris un peu roux ornaient son visage. Ses attitudes, ses gestes forts et souples, dénotaient, selon Lucie, l’homme accoutumé à tous les sports.

À l’issue de la représentation elle le retrouva près de la sortie. Il pleuvait. Un seul fiacre stationnait. Lucie s’en empara.

À peine en route, elle appliqua sa figure à la lucarne du fond. L’homme relevait le bas de son pantalon et le col de son vêtement. Il colla ses coudes aux hanches et partit, au pas gymnastique.

Ce fut certes un des plus grands triomphes d’amour-propre que ressentit Mme Chalmin. Quelle fascination elle exerçait pour qu’un inconnu accomplît cet acte de démence ! À genoux sur la banquette, toute palpitante, elle regardait l’étranger courir à la lueur timide des réverbères. La pluie rageait. Des baraques de la foire battaient, à coups de grosses caisses et d’harmoniums, le rappel des passants.

On traversa la place Beauvoisine. L’homme ne perdait pas courage. Ses pieds claquaient dans des mares de boue, un ruisseau dégringolait de la gouttière de son chapeau. Lucie trépignait d’aise. Le cheval trottait rapidement,