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Page:Leblanc - Une femme, 1893.djvu/280

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Enfin elle avisa le tableau d’André, entre un paysage lunaire — dans une allée de parc, un monsieur en noir et une dame en blanc échangeaient un baiser — et une nature morte, un œuf à la coque, une sole, un poulet doré et du pain verni.

Une émotion poignante assaillit Mme Chalmin. Ses jambes faiblirent. Elle s’appuya au bras de sa mère, en prononçant très haut :

— Regarde-moi ça, la femme est-elle assez bien faite !

Des gens arrivaient, puis s’éloignaient, et d’autres les remplaçaient. C’était un de ces sujets qui attirent.

Lucie frissonna de vanité. Son corps triomphait en public. Le monde la contemplait.

Une sorte d’hallucination la détraqua. Il lui sembla que tout ces yeux rivés à son image la fixaient elle-même, la fouillaient sous sa robe, pénétraient jusqu’à la réalité de sa chair vivante. Elle se promenait nue.

Mme Ramel se disant fatiguée, elle la conduisit à la sculpture et revint en hâte. Un long temps elle se soûla du spectacle de ses formes. Une envie la harcelait d’accrocher quelque passant et de lui jeter :

— Cette femme c’est moi, c’est ma gorge, c’est mon ventre, ce sont mes reins et mes genoux.