Page:Leblanc - Une femme, 1893.djvu/295

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C’était là son arme de défense la plus efficace, dans son extraordinaire duplicité, dans la fourberie de son regard, de sa bouche et de son sourire, dans la fausseté de sa marche et de ses manières, dans la trahison de ses vêtements modestes, dans les grimaces de son affection de mère et d’épouse. Incessamment, sans une minute de repos, elle jouait un rôle. Elle gardait un éternel travestissement, un masque soudé à son visage. Comédie indispensable, car la lutte n’était point seulement entre elle et son mari, entre elle et ses amants, mais entre elle et toute une ville. Et cette ville, méfiante et mauvaise comme les villes de province, elle la dupait, elle la bafouait.

Quelle force dangereuse qu’une telle femme ! À juste titre, Blachère se considérait comme le seul être intelligent qui eût approché d’elle. Les autres l’avaient désirée, jamais ils ne s’étaient enquis du problème qu’elle offrait. Ils ne pouvaient donc deviner les périls de son intimité, ni même en pâtir.

Mais lui, des quelques notions récoltées, une peur effroyable l’envahissait. L’atmosphère qu’elle dégageait, il la sentait abêtissante, meurtrière. La volonté la plus virile se dissolvait, comme désagrégée par le poison de ses yeux et de sa voix. C’était la femelle, dévoratrice des pensers mâles, la brute hostile aux