Aller au contenu

Page:Leblanc - Une femme, 1893.djvu/347

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

dessécha. Elle grossit. Le menton et le cou s’empâtèrent. Elle adopta des opinions politiques précises, n’en ayant pas eu d’autres que celles de ses amants ; elle prôna les partis religieux.

Elle ne songeait pas à son passé. Un jour elle croisa Javal, son unique passion, suivant elle. Ils se saluèrent. Son cœur fut muet. Elle regretta, néanmoins, sa bague de fiançailles.

La présence de ses amants, leur contact même, ne la remuaient pas. Au bal, parfois, l’invitaient des hommes qui l’avaient possédée. Elle restait indifférente entre leurs bras.

Ils la menaient au buffet, lui parlaient, galants, attentifs. Elle, se disait simplement : « J’ai été la maîtresse de cet homme », sans que cette phrase évoquât en elle l’ordinaire cortège des jouissances communes. Aucune honte ne rougissait son front. Elle ne sentait point qu’un lien de chair indissoluble la liait à eux. Quelques-uns risquèrent des allusions. Elle semblait ne point comprendre. Cela l’ennuyait. Jamais elle ne connut la joie des souvenirs que l’on échange, des heures voluptueuses où sonnent à nouveau la sonnerie des anciennes caresses et le tintement des bouches qui se baisaient.

De ce passé, il subsistait deux sensations bizarres, toutes deux d’amour-propre, toutes deux confuses.